Développement de l'enfant

Le consentement, version ados

Ondes de choc d’avant la crise sanitaire : le mouvement de libération de la parole #MeToo ou le livre Le consentement de Vanessa Springora (Grasset) qui raconte son histoire, celle d’une emprise à l’adolescence. Au-delà de l’actualité, qu’en est-il du consentement dans la sexualité, chez les jeunes filles et les jeunes gens ? Pour mieux l’approcher, cet échange entre deux professionnelles de terrain.

D’un côté, la psychologue Tanja Spöri, du service de santé mentale Centre Chapelle-aux-Champs, à Woluwe-Saint-Lambert. De l’autre, la pédopsychiatre Aurore Mairy, responsable du département « Adolescents et jeunes adultes » au même Centre Chapelle-aux-Champs et cheffe d’unité à la maison d’ados AREA+ (structure hospitalière au sein d’Epsylon, réseau de soins psychiatriques à Bruxelles). Le consentement à l’adolescence, voilà une notion éminemment complexe, précisent-elles d’emblée d’une seule voix.

Avant le consentement dans le champ de la sexualité, il y a le consentement tout court.
Tanja Spöri : « Au niveau du rapport au corps, le consentement - qui renvoie à la possibilité de définir ce dont on a envie, ce dont on a besoin, comment on se situe… - se construit tout au long de la vie, dès la naissance. Il s’élabore, au départ, avec la famille : ‘J’ai envie d’être pris dans les bras’ ou ‘Je n’ai pas envie d’être pris dans les bras’, ‘J’ai envie d’un câlin’ ou ‘Je n’ai pas envie d’un câlin’… Tout cela est déjà un peu complexe, et cela le devient beaucoup plus dans la sexualité, à l’adolescence. Le consentement se construit, alors, d’abord avec le monde extérieur. »

Entre le oui franc et le non franc…

Pour pas mal de jeunes (mais pas que), le consentement se définit par le fait que les deux partenaires doivent être d’accord, point barre. Alors, comment cette complexité s’exprime-t-elle ?
T. S. :
« À l’adolescence, c’est souvent en ‘faisant l’expérience’ qu’on sait si on était d’accord ou si on n’était pas d’accord, si cela nous fait du bien ou si cela ne nous fait pas du bien. Par ses expériences, le jeune apprend quelque chose pour lui, il reprend quelque chose à son compte, il se construit de l’intime. Du coup, elle est compliquée, cette histoire de consentement ! Difficile de savoir, avant d’avoir fait quoi que ce soit, ce dans quoi on s’engage exactement et ce dont on a envie précisément.
Il y a les deux extrêmes : le oui franc - s’il est partagé, deux élans se rejoignent, il y a une envie réciproque - et le non franc - si le ou la partenaire n’entend pas ce non, on parle alors de viol. Et puis, entre les deux, il y a une multitude de vécus : les ‘Oui, j’ai envie qu’on m’embrasse, mais je n’ai pas envie d’aller plus loin’, les ‘Oui, parce que je veux prouver à mes copines (ou à mes copains) que…’. La question du consentement est très compliquée pour les adultes, elle l’est encore plus pour les ados. Et j’ajouterais : surtout pour les filles. »
Aurore Mairy : « En effet, c’est très manifeste chez les jeunes filles. À côté des expériences terriblement ‘effractantes’ (Ndlr : du verbe effracter : accéder quelque part par effraction) qu’elles peuvent vivre, les premiers émois et les premières relations sexuelles peuvent déjà être un peu ‘effractants’, ne fût-ce que parce que c’est nouveau pour elles. Beaucoup s’interrogent dans l’après-coup : ‘Jusqu’où est-on allés ?’, ‘À quoi ai-je consenti ?’, ‘Est-ce que cela correspond à ce que je veux ?’, ‘Ça m’a convenu ou pas ?’, ‘Cela m’a-t-il fait plaisir ?’, ‘Où met-on la limite ?’…
J’ai l’impression que les garçons vivent la rencontre des corps plutôt de façon égocentrée : ils se découvrent eux-mêmes dans le rapport à l’autre. Tout en pouvant être soucieux de ce que leur partenaire éprouve. Tandis que les filles se questionnent d’emblée sur ce qui se passe dans le rapport à l’autre.
Finalement, par rapport au consentement, la question que tout jeune, fille ou garçon, peut se poser pour se repérer est : ‘Dans les expériences que je fais, est-ce que je m’y retrouve ?’. »

La principale source d’information en matière sexuelle reste, pour les jeunes, le porno.
T. S. :
« Le problème, avec le porno, c’est qu’il est souvent très stéréotypé. Il exploite le rapport dominant-dominé tel qu’on le trouve dans notre société, avec un des partenaires qui dit non et qui finit quand même par être d’accord. Et puis, le scénario est toujours le même (fellation, sodomie…).
Le discours ambiant devrait être beaucoup plus complexe que celui véhiculé par le porno. Non, les garçons n’arrivent pas toujours à bander et les filles ne sont pas soit disponibles, soit frigides ! Il faut vraiment essayer d’aider les jeunes à faire avec la complexité : comment on prend soin de la complexité en soi et dans la relation avec l’autre. Et là, je trouve intéressantes des initiatives comme le compte Instagram Jouissance Club, imaginé par une femme (Jüne Plã) pour les femmes, ou le livre Sortir du trou. Lever la tête de Maïa Mazaurette (Anne Carrière). »

Comment on s’y retrouve ou pas ?

Quel rôle les parents ont-ils par rapport à cette question du consentement ?
T. S. :
« Ce rôle dépend de l’âge de l’enfant, mais, globalement, il est assez important. Les parents doivent pouvoir se dire qu’il est possible d’aborder ce sujet avec leur enfant. La sexualité commence tôt, déjà dans la toute petite enfance. Exemple : l’enfant se masturbe dans le salon, devant tout le monde. Qu’est-ce qu’il s’autorise ? Qu’est-ce qu’il ne s’autorise pas ? À quel moment son comportement est-il ‘effractant’ pour les autres ? Les parents ont quelque chose à exprimer là-dessus. Et puis, ce qui importe, c’est tout le rapport que l’enfant a au quotidien avec ses parents : ‘À quelles occasions puis-je donner mon avis ? Sur quoi ? Est-ce que ma parole compte ?’. Avoir vécu ce genre d’expériences permet au jeune de se situer : ‘Je peux faire un retour sur moi et voir comment je m’y retrouve dans telle ou telle histoire’. Cela lui donne des outils, et pas seulement sur le terrain de la sexualité. Il peut s’appuyer sur le passé pour penser son présent et son avenir. »
A. M. : « Dans l’exemple de la masturbation, il s’agit de dire à l’enfant : ‘Ce n’est pas interdit, mais il y a un endroit, ou un moment, pour chaque chose’. Un tel positionnement des parents permet à l’enfant de se délimiter une intimité, de percevoir ce qui lui est personnel, privé. Ils lui reconnaissent ce domaine intime qui doit être respecté. À l’adolescence, les parents peuvent dire au jeune qu’il est possible de parler sexualité, respect, consentement ensemble. Ils peuvent en parler avec un certain voile, pour créer une différenciation entre lui et eux. Il y a des familles où les choses s’expriment très librement, cela n’empêche pas que, pour certains sujets, les parents préviennent : ‘Ça, c’est ton affaire’. »

Elle peut rassurer les jeunes, cette complexité au cœur de l’intime ?
T. S. :
« Pour le philosophe français Edgar Morin, ‘la connaissance est une navigation dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitudes’. Je pense que, nous - le monde social, les médias, les psys et, bien sûr, les parents - devons aider les jeunes à se construire un bateau de navigation. Comment ? En leur expliquant comment nous nous sommes débrouillés avec cette complexité, avec ces incertitudes. Et là, heureusement, il n’y a pas de mode d’emploi. Mais il y a des repères. Ce n’est pas ‘Chacun fait comme il veut’ ou ‘La complexité est telle qu’on ne peut pas la penser’, c’est : ‘Des personnes ont traversé cette complexité et elles ont des repères qui peuvent servir de boussole’. »
A. M. : « Accepter la complexité, ce n’est pas se dire que tout est possible. Mais c’est progresser dans une zone de possibles avec lesquels on essaie de définir ce qui convient à soi. C’est important d’expliquer aux jeunes qu’ils peuvent s’y retrouver dans cette complexité et que chacun la traverse de façon très personnelle. »

Un ou deux repères forts, selon vous ?
T. S. : « Un chouette repère est la question amenée par Aurore : ‘Comment je m’y retrouve ?’. ‘Comment je peux penser cette histoire dans ma tête et dans mon corps pour maintenant, pour plus tard, à partir de mon expérience passée ?’.
Quand on insiste sur les expériences faites, on peut croire qu’il faut tout expérimenter. Non, il ne faut pas tout tester pour pouvoir se dire que, tout compte fait, telle chose, on la veut ou on ne la veut pas, ou qu’elle risque de mettre son intégrité en danger. »
A. M. : « Dans l’expression ‘Comment je m’y retrouve ?’, quelque chose de son identité vient se constituer. Il s’agit aussi de se mettre du côté du respect : ‘Comment je m’y retrouve, tu t’y retrouves, on s’y retrouve ? Ou pas ?’. Si l’un·e des deux partenaires se sent abusé·e, on peut se poser des questions. Et cela ne veut pas dire que les deux doivent s’y retrouver de la même manière. Leurs façons respectives de s’y retrouver peuvent se rencontrer, s’articuler. La sexualité est, certes, une expérience très personnelle dans le corps et le psychisme pour l’ado, mais il est important de pouvoir aussi être attentif au désir de l’autre. Il ne s’agit pas de se perdre dans le désir de l’autre ou de perdre l’autre dans son désir à soi. Le dialogue, les allers et retours, les ajustements sont précieux dans les relations à deux. »

 

Et encore ...

Trois références en plus de celles évoquées dans l'interview

Mon nom est clitoris, documentaire de Lisa Billuart-Monet et Daphné Leblond (disponible sur rtbf.be/auvio) : douze jeunes femmes racontent leur rapport à leur corps et à la sexualité
Pas envie ce soir. Le consentement dans le couple, une enquête du sociologue français Jean-Claude Kaufmann (Les Liens qui Libèrent). Dans ce livre, on n’est donc plus avec les ados, mais avec les adultes.
Une campagne d'Amnesty Jeunes a fait le point sur la question en mars dernier. Cette campagne était assortie d'un sondage dont les résultats inquiétants montraient que les stéréotypes sur le viol et le consentement sexuel étaient encore (trop) présents dans l’opinion.

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