Développement de l'enfant

Le doudou expliqué aux grandes personnes

Le doudou, que représente-t-il pour le tout petit bébé ?

Peluches et autres objets-tendresse peuplent la chambre du nouveau-né, tous prêts à devenir son doudou. À la crèche, il figure sur la liste des « essentiels » du bébé. Idem à l’école maternelle pour le petit enfant. L’industrie du jouet le chouchoute à fond. Le doudou serait-il victime de son succès ?

« On avait choisi un doudou pour notre petite, mais question : allait-il l’attirer ? Ça nous a fait plaisir qu’elle l’ait adopté », se réjouit ce duo de parents. Quelles attentes y sont liées ! Retour, avec la psychologue clinicienne Mireille Pauluis, sur cet objet transitionnel (comme on dit dans le jargon psy), sur ce qu’il est et sur ce qu’il n’est pas. Dans ce but, elle nous fait partager la vie intérieure de l’enfant. D’emblée, elle nous avertit aussi : si le doudou est un objet transitionnel, « tout ce qui fait office d’objet transitionnel ne se matérialise pas nécessairement par un doudou ». Et « attention à ne pas confondre l’objet et la fonction ». Explications.

Évoquons le doudou à travers les âges de l’enfant. Que représente-t-il pour le tout petit bébé ?
Mireille Pauluis : « Au début de sa vie, le tout petit bébé ne fait qu’un avec sa mère. Il est collé à elle. Sa survie en dépend. Pour que les séparations soient plus faciles, elle lui donne un objet familier (un foulard, un vêtement) qui porte son odeur. En ayant l’odeur de sa maman, il la garde avec lui : c’est physique, sensoriel. Cela peut aussi être un objet du papa ou de toute personne sécurisante pour le bébé.
L’odeur est importante, mais la voix peut l’être également. Je me souviens d’un bébé en crèche, que ses puéricultrices ne parvenaient pas à endormir. Celles-ci ont fait venir la maman et l’ont observée avec son bébé. Elle le couchait en lui chantant une berceuse, toujours la même. Les puéricultrices ont enregistré la maman chantant la berceuse. Et chaque fois qu’elles couchaient le bébé, elles mettaient l’enregistrement. »

Doudou est-il admis à l'école ?

Entre absence et présence…

L’enfant grandit. Qu’est-ce qui se joue au moment de la fameuse angoisse des 8 mois ?
M. P. : « Autour de ses 8-10 mois, le bébé réalise que ce n’est pas lui qui fait apparaître son parent en cas de besoin : ‘Maman (ou papa) pourrait ne pas arriver, quelle catastrophe !’. Mais il trouve, à ce moment-là, quelque chose qui lui permet de tenir le coup, de parer à l’absence de son parent, d’attendre un peu, de faire la transition entre l’absence et la présence : il se crée un objet transitionnel. Ce n’est plus seulement sensoriel, c’est un mouvement de pensée. C’est le début de la permanence de l’objet : sa maman, son papa qui ont disparu vont revenir, ils continuent d’exister dans sa tête grâce aux représentations mentales qu’il se construit d’eux. Et l’objet transitionnel se charge de ces représentations.
On ne sait pas ce que le bébé va choisir. Il peut attribuer cette fonction de transition à un objet de son environnement immédiat. Celui-ci (une peluche, sa couverture qu’il traîne partout…) devient alors son doudou. Cela peut aussi être un geste, un mouvement : se chipoter les cheveux, faire des petits bruits avec sa langue, jouer avec ses doigts, caresser une étiquette… C’est l’enfant qui crée son objet transitionnel. Et c’est lui qui décide s’il en a besoin.
Aux parents de soutenir leur bébé dans son choix : ‘Ton doudou est là, ne t’inquiète pas’. Mais ils n’ont pas à le lui imposer : ‘Tiens, prends vite ton doudou parce que, sinon, tu vas pleurer’. »

« Le ‘vrai’ doudou voyage avec l’enfant »

Le doudou aide donc l’enfant à supporter la solitude. Il l’accompagne dans les moments de séparation. Avec lui, l’enfant dépasse ses peurs, apaise ses chagrins, apprivoise les nouveautés…
M. P. : « Puisque le doudou a permis à l’enfant de survivre à l’absence, il constitue son objet de sécurité : ‘J’entreprends quelque chose de difficile, je prends mon doudou’, ‘J’ai survécu à l’angoisse des 8 mois ; je vais bien survivre à l’entrée à l’école si j’ai mon doudou avec moi’. Petit à petit, il devient un peu son porte-bonheur, son talisman.
Et puis, ce doudou est un vecteur de souvenirs. Il est, par exemple, chargé de toutes sortes d’odeurs quand l’enfant y fourre son nez. Sur le plan sensoriel, les évocations sont nombreuses. Il peut aussi devenir un compagnon de jeu à qui l’enfant raconte plein de choses. »

Doudou dans les bras de bébé, bébé dans les bras de Morphée
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Le doudou rassure… les parents

C’est le psychanalyste anglais Daniel W. Winnicott qui, au début des années 1950, a mis l’objet transitionnel à l’honneur. Il a théorisé sur cet « espace entre ».Pourquoi le doudou est-il surinvesti aujourd’hui ?
M. P. : « La vulgarisation des découvertes psy autour des bébés y est pour beaucoup dans la valorisation du doudou. On a tellement insisté sur son importance qu’il est devenu comme vital. Mais ce n’est pas l’objet en tant que tel qui est vital, c’est la fonction ! »

Une crainte des parents, c’est que le doudou se perde. Alors, certains l’achètent en deux, trois et même quatre exemplaires.
M. P. : « Le doudou rassure les parents. Ils s’inquiètent pour leur enfant, on peut le comprendre. Leur difficulté, c’est de se faire confiance et de faire confiance en leur enfant. Comprendre qu’un bébé est capable d’inventer quelque chose qui le rassure peut les aider dans cette voie : ‘C’est fabuleux, soyez fiers de lui, ayez confiance en ses compétences’. »
Mais, attention, le doudou n’est pas un objet magique ! Ce n’est pas lui qui donne de la sécurité au bébé, c’est le bébé qui se fait confiance parce qu’il a son doudou. »

Pas de panique, alors, si l’enfant égare son doudou ?
M. P. : « C’est embêtant, triste, difficile pour lui. Mais ce n’est pas grave ! Sa maman, son papa peuvent lui faire confiance : ‘C’est vraiment dur que tu aies perdu ton cher doudou, on va essayer de le retrouver, mais, moi, je sais que tu peux t’en sortir, tu peux te trouver quelque chose d’autre qui remplira la fonction de transition. On a confiance en toi’.
Maintenant, si l’enfant perd son doudou à 1 an, c’est évidemment plus compliqué que s’il le perd à 2 ans ou à 3 ans. Et donc, avec un tout-petit, on est vigilant, on fait particulièrement attention au doudou qui le réconforte : inutile de lui faire revivre des angoisses de séparation. »

Faire transition, c’est aller et venir

Le doudou, objet transitionnel, c’est un objet qui va et vient avec l’enfant. Or, certains parents en laissent un exemplaire dans chaque lieu qu’il fréquente : à la maison, chez les grands-parents, à la crèche ou à l’école…
M. P. : « Le ‘vrai’ doudou voyage avec l’enfant, vu qu’il fait transition entre lui et ses personnes de sécurité. Alors, les parents peuvent laisser des exemplaires dans les différents espaces de vie de l’enfant, et lui sera content d’y retrouver chaque fois quelque chose de connu, mais ce ne sont pas des objets transitionnels. »

S’il n’y a pas de doudou, que peuvent faire les parents pour aider leur enfant à vivre des transitions en douceur ?
M. P. : « Les enfants n’ont pas tous un objet doudou. Lors des séparations, à l’entrée à l’école maternelle par exemple, on peut leur suggérer de se choisir un objet qui fera transition, comme un album avec des photos de ce qu’ils connaissent.
Un souvenir personnel : presque tous mes petits-enfants, vers leurs 2 ans, aimaient repartir de chez moi avec un jouet. Chaque fois, je leur disais : ‘Tu le prends chez toi et tu le ramèneras’. Le jouet faisait transition. Ils partaient avec un jouet de chez moi et, chez eux, ils avaient un petit quelque chose de leur grand-mère. Cette question de la transition (et donc de la séparation), très importante chez le bébé, persiste quand il grandit. C’est une question de survie chez le tout-petit. C’est un support de lien chez l’enfant plus grand. »

Au dodo avec doudou
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ZOOM

Quel marché !

Le marché du doudou est florissant. Aux nounours des années 1950-1960 s’ajoutent constamment de nouveaux modèles, tout beaux, « aux vertus apaisantes renforcées » et « aux spécificités élargies », observe Alexandra Balikdjian, psychologue de la consommation à l’ULB. Les voilà qui se doublent d’un anneau de dentition, intègrent une douce musique ou se connectent à votre smartphone.
« Le doudou qui, normalement, est un objet issu de l’environnement proche de l’enfant et qui lui permet d’aller vers le monde extérieur, s’est travesti en un objet de renforcement et de réassurance pour le parent. Si votre bébé n’a pas un doudou auquel il est attaché, c’est que vous ne lui avez pas proposé les ‘bons’ doudous. Pour être un ‘bon’ parent, vous allez devoir renchérir et lui acheter de nouveaux doudous. »
Tout cela, « à une époque où on se sépare de plus en plus précocement et de plus en plus radicalement de nos tout-petits : donc, un parent est prêt à payer cher pour trouver un doudou qui rassurera son bébé et le rassurera, lui. À une époque aussi où la société nous enjoint de nous occuper de ces bébés en les stimulant au maximum. D’où la profusion de doudous de plus en plus perfectionnés ».

À LIRE

Les nouveaux objets transitionnels

Que dit Winnicott de l’objet transitionnel ? En quoi les doudous actuels dénaturent souvent la pureté du concept initial ? Le smartphone est-il le doudou des ados et des adultes ? Et les jeux vidéo ? Pistes de réponses dans Les nouveaux objets transitionnels. Du doudou de Winnicott à l’iPhone de Jobs, sous la direction de Daniel Marcelli avec Anne Lanchon (Érès, collection L’école des parents). Un petit livre passionnant.