Développement de l'enfant

On parle beaucoup de phénomènes comme le sexting, le grooming, le revenge porn, parfois médiatisés, souvent évoqués, jamais vraiment expliqués. Pour bien comprendre, voici l’histoire de Swan, 15 ans, dont les photos et vidéos nues ont fait le tour des réseaux sociaux à son insu. Comment agir, dans ces circonstances ? Nadège Bastiaenen de Child Focus nous donne des solutions très concrètes.
Pardonnez le trait d’esprit, mais c’est presque devenu un cliché. Par amour sauvage et passion aveugle, des ados partagent photos et vidéos. Évidemment suggestives. De plus en plus. Jusqu’à celle qui va tout compromettre. Une pose lascive. Un contexte coquin et, dès le premier dérapage, tout est divulgué.
Divulgué, ça veut dire quoi, au fait ? C’est vrai, on raconte tellement de choses et emprunte tellement de raccourcis quand on parle du phénomène qu’on en oublie de se mettre à la place des gamins qui, au départ, n’ont fait que jouer un simple jeu. Laissons donc les ados en parler. C’est Sanaé, 16 ans, qui nous raconte l’histoire de sa meilleure copine. Sans complaisance aucune.
Comme souvent dans ces histoires, tout commence par une histoire d’amour. Très vite, la relation se pimente. Les sentiments ravagent tout. Y compris la raison. Un petit établissement sans histoire du Brabant wallon. Swan, 15 ans, aime sans retenue. Elle ne vit que pour son gentil petit Brieuc, grand gringalet blondinet de 17 ans qui fait convulser toutes les pré-pubères de la bourgade.
Très vite, ils incarnent le couple le plus glamour des environs. Ils font rêver et leur amour fait passer n’importe quelle cover de presse people pour un vulgaire flirt. Ils sont au centre de l’attention, donc des convoitises. Et comme le décrit Sanaé, digne des meilleures paroles de hip-hop : « Si tu t’exposes trop, tu grilles ».
« J’ai trop honte pour elle »
De leur histoire, tout est rendu public. Ils se font de grandes déclarations d’amour à travers les réseaux sociaux, les disputes attisent les « gossip » (rumeurs), tout se passe dans l’impudeur des jours de fête. Pour le moment, c’est encore bon enfant. Mais très vite le beau Brieuc, tant sollicité, en veut plus. Une jeune fille qui se donne corps et âme, ce n’est pas assez.
Alors, les petits jeux innocents sur les écrans virent très vite aux scénarios sauce porno. Quelques photos, d’abord. Puis des vidéos. L’adorable Brieuc en veut toujours plus et, au passage, il régale ses potes. Bien sûr, Swan n’en sait rien. La rumeur claironne à grands coups de trompettes de la renommée. C’est justement Sanaé qui en entend parler.
« Mais nous, on vit que comme ça. On vit tous les jours en se disant qu’il ne pas faut que ça nous arrive » Sanaé, 15 ans, copine de Swan
« Je connais Swann depuis toujours. Aux scouts, on l’appelait ‘Disney’ parce qu’elle était hyper-prude. Quand j’ai entendu qu’elle s’affichait sur des vidéos, j’ai eu trop honte pour elle ». Sanaé le signale immédiatement à sa copine. Swan est mortifiée. Elle n’ose même pas en parler à Brieuc. Il ne faut surtout pas le perdre.
Le pire, c’est qu’elle continue à abreuver la soif de contenus explicites de son valeureux chevalier. Mais l’innocence est perdue maintenant qu’elle se sait sous le feu des projecteurs. L’entrain n’y est plus. Et ça, à notre jeune coq alpha, ça ne lui plaît pas. Il jette Swan avec la délicatesse d’un chevillard dans un abattoir. Swan est brisée.
Serrer les poings
Comme si ça ne suffisait pas, photos et vidéos tournent à plein tube dans l’établissement. Et, bien entendu, comme les frontières du web sont plus que floues, Swan et son intimité sont donc baladées de plateforme en plateforme.
La réaction de la jeune fille est celle de milliers d’autres. Elle serre les poings en attendant que ça se tasse. Elle n’ose en parler à personne de peur de se faire passer un sacré savon par ses parents. Elle se renferme. Ses copines lui tournent le dos, y compris Sanaé.
Pourquoi s’est-elle désolidarisée de son amie de toujours ? Elle répond sans le moindre remords que sa copine n’était plus fréquentable. « Cette histoire, ça l’a changée, ça parlait beaucoup sur elle, moi j’étais dans un autre état d’esprit à cette époque. Et puis, quand ça arrive, ce genre d’histoires, c’est galère, plus personne te calcule ». Il semble donc tout à fait normal à Sanaé de rentrer dans le rang.
Swan a tout perdu. On l’affuble des surnoms crus qui tournent autour des parties génitales le plus souvent. Elle reçoit des messages horribles de la part de personnes qu’elle ne connaît pas. Des insultes, des propositions odieuses.
On demande à Sanaé comment ce genre de choses peut arriver. « Mais nous, on vit que comme ça. On vit tous les jours en se disant qu’il ne faut que ça nous arrive. Moi, l’an dernier, j’ai des photos de moi en soutien-gorge à une soirée qui ont tourné sur Facebook. Ça va, c’est pas la mort, mais c’est bien chaud, tout le monde le voit, tout le monde t’en parle. Même les profs ».
Et justement, ce genre d’infos arrive forcément aux oreilles des professeurs. Personne n’en parle jamais ? « Bah, si, mais ils sont pas là pour ça. Ils doivent nous apprendre des vrais trucs, pas des gamineries… ».
« Le problème, c’est l’agression, pas la nudité »
Si aux yeux de beaucoup de parents, ces histoires semblent ahurissantes, les experts, eux, sont coutumiers du fait. Ainsi, Nadège Bastiaenen désamorce : « On parlait de ce genre d’histoire il y a dix ans et on continuera à le faire dans dix ans. Tout simplement parce que ces procédés sont vieux comme le monde. Je renvoie vos lecteurs aux histoires de clichés nus dévoilés de Simone de Beauvoir par Nelson Algren. Ils montrent qu’on est dans la même mentalité, mais avec d’autres outils. Seulement, aujourd’hui, c’est vécu différemment. Tout le problème tourne autour du manque de reconnaissance des victimes selon moi ».
Child Focus propose une ligne d’écoute pour tout ce qui concerne le sexting (envoi de contenu porno), le grooming (un adulte qui se dissimule derrière un pseudo de mineur, afin d'entrer en contact avec d’autres), le revenge porn, le harcèlement, etc. Dans un cas comme celui-ci, les parents de Swan, un proche ou un prof ont trois options.
La première, le « déférencement » auprès de Google. Attention, il s’agit d’un processus assez long. En réalité, les contenus ne sont pas effacés, seul l’ordre du référencement est changé. Pourquoi ? Par pur respect du principe de droit à l’info.
Deuxième option possible, celle conseillée par plusieurs experts, qui consiste à contacter toutes les plateformes, leurs modérateurs, voire un à un les utilisateurs qui ont relayé les contenus. En l’occurrence, Brieuc et sa bande. Il y en a pour cinq jours ouvrables, minimum. Ce qui est encore très long.
Enfin, la troisième solution, la plus rapide, celle qui consiste à faire valoir son droit à l’image, via la ligne d’aide de Child Focus qui propose des conseils juridiques, techniques et éducatifs. En l’occurrence, c’est l’aspect technique qui nous intéresse dans un contexte comme celui de chez Swan.
Dans ce genre de situation, Child focus a une personne contact présente sur chacune des plateformes (Facebook, Instagram et Snapchat, pour ne citer qu’elles). La Fondation intervient alors directement. « Dans la demi-heure, les contenus peuvent être éliminés, avance fièrement Nadège Bastiaenen avant de se raviser. Bon, c’est exceptionnel, mais ça va très vite ». Ces lignes d’aide sont accessibles à tous.
L’éducation aux médias, toujours
Mais mieux vaut prévenir que guérir. Et la question que l’on peut se poser légitimement est : comment peut-on en arriver à des situations telles que celle de Swan et comment armer son ado pour éviter ce genre de dérives ? On pose maladroitement la question à l’experte de Child Focus, en évoquant la « naïveté » de la victime.
Nadège Bastiaenen se fâche : « Vous prenez la problématique à l’envers. L’enjeu, c’est d’arriver à ne pas agresser. Swan est amoureuse. Elle a confiance. Le problème est qu’elle envoie des photos nues ou plutôt que ces photos soient partagées auprès de personnes qui n’auraient pas dû les voir, selon vous ? Qui n’a jamais fait ce genre de choses ? Partager des instants intimes ? Pour les ados, ce sont des étapes importantes de construction. Ces petits jeux, ce sont un peu comme des préliminaires. En tant que parent, on ne peut pas dire ‘Ne le fais pas’. On serait à côté de la plaque ».
La spécialiste nous informe au passage que les filles partagent autant ce type de contenu que les garçons. Pas avec les mêmes attentions. Elles le font par vengeance, quand ces messieurs le font plus pour étaler les conquêtes. Là encore, il y a tout un travail curateur à mener. Trop peu de parents, trop peu d’enseignants font de l’éducation aux médias, par peur de ne pas avoir les compétences techniques. À tort, car les ados ne sont pas les petits génies numériques que l’on veut bien croire. Ils ne savent pas paramétrer, mener des recherches, par exemple, et, surtout, n’oublions jamais qu’ils ont encore beaucoup à apprendre, autant dans la relation sociale, que dans la relation virtuelle.
On se rappellera le mantra de l’auteur Christophe Butstraen qui dresse une grosse différence entre le savoir-faire que les gamins possèdent et le savoir-être que les parents ont et doivent transmettre. Ce qui peut éviter des cas dramatiques comme celui de Swan qui, espérons-le, sortira plus forte de cette mésaventure. Car l’étape d’après est la suivante : éviter à nos enfants de se perdre dans un labyrinthe de chagrin.
Yves-Marie Vilain-Lepage
En pratique
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Parents, éduquez-vous
Comme vous le savez sans doute, la Ligue des familles et Child Focus ont uni leur force pour mettre sur pied Webetic.
Le principe ? Inviter des parents à des ateliers pour dompter internet et mieux dialoguer avec ses enfants autour des bonnes pratiques.