Développement de l'enfant
Oui, les bébés lisent avant de savoir lire ! Ils manifestent une curiosité pour l’objet-livre comme pour beaucoup de choses. Et pour peu que des adultes les accompagnent dans cette découverte, certains livres en acquièrent presque autant de valeur que le doudou. Mais tous les bébés n’ont pas cette chance.
Les nourrissons mis précocement en contact avec des livres, des imagiers, des tout-carton, des livres en tissus et que des adultes accompagnent d’un narratif, de mots, de comptines développent un vocabulaire qui les aidera à entrer dans la vie, et notamment dans la vie scolaire. C’est ainsi que tous les enfants n’arrivent pas avec la même valise de mots à l’école.
Une perte de mots
C’est une des explications aux retards de certains de nos élèves dans l’apprentissage, la connaissance et la bonne compréhension (écrite et orale) du français. Pour y remédier, plusieurs acteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont pris langue pour mettre sur pied le projet Parcours de lecteurs. Avec l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE) en première ligne.
« Pour l’ONE, la lecture est très importante dans nos consultations, les milieux d’accueil et les espaces de rencontres parent-enfant, contextualise Geneviève Bazier, directrice du service études et stratégies. Quand le Service du livre et de la lecture nous a contacté, nous étions aux prémices d’une campagne sur le langage parce que nous avions constaté au fil des années, chez les petits de 18 et 32 mois, une perte du nombre de mots acquis par l’enfant. Deuxièmement, est apparu l’impact des écrans sur le langage et sur les capacités de lire, de raconter, de s’exprimer des enfants. Le premier réflexe d’un enfant dans nos consultations face au livre n’est plus de le feuilleter, mais de scroller la couverture. Les écrans ont imprégné nos habitudes. C’est pourquoi, avec le service Éducation à la santé et la cellule Soutien à la parentalité, nous avons embrayé dans ce Parcours de lecteurs qui permet d’avoir une relation avec l’enfant, d’interagir avec lui, de montrer les images, de chanter, jouer, rire, avoir peur... Tout cela a du sens et fait partie du développement de l’enfant. »
Distribution de livres
Au cœur de ce dispositif Parcours de lecteurs créé en 2015, lancé en octobre lors de chaque Fureur, il y a la distribution d’un livre à trois moments importants de la vie de l’enfant. Un album est ainsi offert à tous les parents d’un nouveau-né, via les consultations de l’ONE. Cette année et pour deux ans, il s’agit de C’est le petit qui monte d’Émile Jadoul, publié aux éditions Pastel (lire encadré) et distribué à deux fois 65 000 exemplaires.
Deux autres sont offerts aux enseignantꞏes de 1re maternelle d’une part (cette année, Ribambelle de Mathilde Brosset, éd. Versant Sud), de 1re primaire d’autre part (Toute une montagne de Marie Colot et Françoise Rogier, éd. À pas de loups). À chaque fois, des livres d’artistes belges publiés par des éditrices belges, pour mettre en avant la richesse du secteur dans notre pays. Ces livres sont présentés dans des vidéos disponibles sur objectifplumes.be, où l’auteur-bibliothécaire Ludovic Flamant présente diverses manières de les aborder.
« On sait tous que le tout-petit ne va pas lire forcément l’histoire, mais il va l’entendre, se rapprocher du livre, s’en saisir éventuellement »
Biberonné aux livres
Offrir un livre est une chose, le faire vivre en est une autre. C’est pourquoi tout un réseau de médiateurs s’est mis en place pour que ce livre offert circule, vive, rencontre ses publics. Exemple à Molenbeek-Saint-Jean à la Maison des cultures et de la cohésion sociale où était lancée la Fureur de lire. Et plus particulièrement, à La Court’échelle, lieu de rencontre parents-enfants de 0 à 3 ans.
« À travers nos stages et ateliers, nous voulons décloisonner la culture pour qu’elle soit un pont et un moyen d’émancipation pour les enfants, les jeunes et la population, explique la responsable, Isabelle Marchand. Parmi nos missions, il y a la socialisation douce de l’enfant, douce parce qu’il n’y a pas de séparation entre le parent et le bébé, afin de le préparer à l’entrée à la crèche ou en maternelle, le soutien à la parentalité et la cohésion sociale. »
Parmi leurs outils culturels, des médias créatifs dont la lecture d’albums aux tout-petits, systématiquement proposée lors de la dernière demi-heure de leurs permanences. « Elle sert à créer ces liens entre le parent et l’enfant, entre les enfants, mais aussi entre les parents, poursuit-elle. Il y a vraiment un rituel qui s’installe. On commence par une lecture collective d’albums, puis chaque enfant se choisit un livre dans la bibliothèque et va s’asseoir sur les genoux du parent pour découvrir le livre, ce qui permet parfois de mettre dans les petites et les grandes mains un album qui n’aurait jamais été utilisé à la maison. Certains sont déjà habitués, tout petits qu’ils sont. D’autres pas du tout ».
Parmi leurs réalisations récentes, une grande fresque collective en peinture à la main ou des pâtes à sel à partir des albums Les mains de papa et Dans mes bras d’Émile Jadoul. La Court’échelle lance aussi des ponts vers d’autres partenaires. « Nous finançons également deux conteuses professionnelles qui vont dans les salles d’attente des consultations ONE molenbeekoises, ce qui permet une continuité. Nous allons aussi sur le marché une fois par mois pour nous faire connaître et aller à la rencontre du public. Tous les deux ans, avec la bibliothèque communale, nous créons une exposition autour d’unꞏe artiste belge qui présente ses dessins dans une scénographie pour les tout-petits comme Jeanne Ashbé ».
Autre actrice du Parcours de lecteurs à Molenbeek, Charlotte Herman, PEPS (Partenaire Enfant Parents de l’ONE) qui se rend dans les consultations de quartier. « Pour nous, le simple fait de donner un livre gratuit aux parents, c’est cadeau. Beaucoup de familles ne connaissent pas le français ou ne savent pas lire et écrire, n’ont peut-être jamais eu accès à la culture. Souvent, ce livre est le premier à entrer chez elles ».
À la bibliothèque
La bibliothèque communale est aussi active dans cette dynamique. Des (ra)conteuses proposent des découvertes livresques dans l’idée d’une sensibilisation à l’album, au texte, à la narration, à l’image, etc. « Nous intervenons dans neuf crèches de la commune, explique Joelle Froment, bibliothécaire. On propose aussi des activités en bibliothèques pour les tout-petits, Des bébés et des livres, ouvertes aux parents mais aussi aux crèches qui se déplacent à la bibliothèque avec les 18 mois et plus. Nous avons également des animations avec les écoles maternelles. On sort pour les fêtes de quartiers et on constate que les enfants nous identifient comme les dames de la bibliothèque. Certains reviennent chez nous avec leurs parents, créent une habitude, mais tout dépend des parents. Il y en a qui ne franchiront jamais la porte de la bibliothèque parce que c’est trop loin, à cause des horaires, car leur culture est plus liée à l’oralité, parce qu’il y a la barrière de la langue… Ils ne savent pas toujours que la bibliothèque a des collections en langues étrangères ».
Entouré d’une classe d’élèves en puériculture de l’institut des Dames de Marie et leur enseignante venues s’initier à l’animation autour du livre et des bébés, Émile Jadoul a improvisé une fresque à la peinture à la main à partir de C’est le petit qui monte. « L’approche du livre par le tout-petit me paraît essentiel, a insisté l’auteur-illustrateur. On sait tous qu’il ne va pas lire forcément l’histoire, mais il va l’entendre, se rapprocher du livre, s’en saisir éventuellement. Ici, j’ai veillé à la musicalité du livre avec la comptine de la petite bête qui monte, qui monte… »
EN SAVOIR +
C’est le petit qui monte
Émile Jadoul n’en est pas à son coup d’essai avec cet album, puisqu’il en est à sa soixantième création pour les tout-petits chez Pastel qui lui a d’ailleurs consacré une brochure, Le monde d’Émile Jadoul, écrite par notre consœur de la Libre, Laurence Bertels, et disponible gratuitement dans certaines librairies et bibliothèques.
Émile Jadoul a un attachement particulier pour ce lectorat si particulier. Il parie sur leur intelligence tout comme il parvient à libérer leurs émotions face à des vécus souvent très quotidiens. C’est le petit qui monte se présente comme une comptine à gestes bien connue, revisitée, qui combine accumulations, jeu sur les tailles, répétitions, onomatopées, autant d’éléments qui favorisent des interactions amusantes avec l’adulte. On y voit une succession d’animaux qui montent, qui montent à la queue-leu-leu sur une colline toute jaune. C’est un livre printanier et lumineux, un petit théâtre où domine le jaune, qui surgit sur la couverture, couvre la page de garde et se déroule tout au long de l’album pour céder la place au bleu de la nuit en dernière page. Mais avant cela, le récit aura proposé non pas une fin, mais plusieurs chutes, pour en arriver à une bonne nuit réparatrice, faisant écho à la lecture du soir, genre dans lequel s’inscrit cet album
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