Loisirs et culture

« Spoil alert », le titre de cet article est l’ultime phrase de cette interview. Ce sont les derniers mots prononcés par la réalisatrice Lydie Wisshaupt-Claudel lors de cet entretien réalisé dans le cadre de notre article Petite école, grande résonance. Au cœur de la rencontre, le film Les Éclaireuses dont une des projections, le 29 mai au cinéma Aventure à Bruxelles, a été accompagnée de la présence active du Ligueur, du Ciré, de la Croix-Rouge, de Fédasil.
Au début du projet, le film devait s’appeler Les commencements, pourquoi avoir changé de nom ?
Lydie Wisshaupt-Claudel : « Le travail sur le titre, c’est toujours compliqué. À un moment, le film s’est effectivement appelé Les commencements. En cours d’écriture, c’est devenu simplement La petite école. Mais, au fur et à mesure, je ne voulais plus du mot école dans le titre. Je désirais quelque chose de plus large. Je n’avais pas envie d’un titre film qui circonscrive. Le film allait plus loin que le lieu. Au moment où j’ai choisi Les Commencements, j’étais centrée sur les prémices, sur les outils pédagogiques. Ma préoccupation, c’était : 'Comment démarre leur métier d’enseignante ?'. Il y avait aussi le commencement des enfants, le démarrage des projets. Mais là aussi je me suis rendue compte que j’étais dans quelque chose de plus large, de plus intemporel, au-delà d’une simple chronologie. Les 'personnages' de Marie et Juliette ont pris une dimension beaucoup plus large, dépassant la question pédagogique. Puis ces enfants, ils n’étaient pas 'au début'. Ils avaient déjà vécu plein de chose. On était dans un moment de rencontre, pas au départ de quelque chose. Il est devenu évident que j’avais envie d’un terme qui les désigne elles plutôt que de trouver un mot pour désigner ce qui se passait dans la Petite école. D’où, Les Éclaireuses. »
Ce qui frappe dans ce film, ce sont ces longs plans sur Juliette où semblent se disputer l’espoir et le doute. Il y a une proximité étonnante.
L. W.-C. : « C’est compliqué de définir une relation comme celle-là. D’autant plus que dans mes films précédents, je n’étais pas dans cette temporalité. J’étais sur des territoires où je ne restais pas longtemps. Les personnages ne faisaient que passer. Là, c’est une autre relation qui s’est nouée. Une relation d’amitié ? Peut-être, mais qui est plus que ça et pas du tout ça non plus. Ce qui est sûr, c’est que cela a été une relation d’intimité et de confiance très très forte. Quelque chose de complètement inédit pour moi. Je dois dire que je suis transformée pour toujours d’avoir réussi à gagner leur confiance. Je pense qu’humainement la confiance je pouvais l’avoir, mais en tant que cinéaste, ce n’était pas gagné. Quand je les ai rencontrées, je ne savais pas encore que j’aurais l’envie d’en faire un film. J’ai d’abord été aimantée par leur projet à travers leurs mots, leurs images. Je leur ai dit que j’étais dans le cinéma. Et que j’avais un outil à ma disposition. Je pouvais les soutenir d’une manière ou d’une autre dans leurs démarches. J’avais imaginé des ateliers vidéos ou quelque chose comme ça. Très vite, elles m’ont dit il n’y avait pas de place pour une caméra dans leur salle de classe. Ce n’était pas possible. Il y avait un rapport de protection. Protéger les enfants d’un regard extérieur qui risquait de leur faire du mal. On a appris à se connaître. Quand j’ai senti que c’était vraiment un film que j’avais envie de faire et pas des ateliers, j’ai insisté. Pour ça, j’avais envie de venir auprès d’elle sur un temps très long. Elles m’ont dit : 'Tu dois venir dans l’école, t’inscrire dans son espace. Te rendre utile, pas pédagogiquement. Puis on doit s’aider mutuellement, si tu vois qu’il n’y a plus de papier toilette. Ben, il faut le remplacer. S’il faut passer le balai, tu passes le balai. Et puis, prend ton carnet de note cela nous sera utile d’avoir un regard extérieur. Dis-nous avec tes mots ce que tu vois, on se considère comme enseignante chercheuse. Que quelqu’un nous observe, c’est important pour nous'. Finalement, j’y suis allée presque tous les jours. Trois mois après, on s’est dit qu’on pouvait tenter quelque chose avec la caméra. Même quand on ne filmait pas, je venais régulièrement. Pour les enfants, j’étais la dame qui fait le film. Ils se sont accommodé de ma présence. On pouvait se mettre à 30 cm et commencer à travailler. Cela nous a permis, par exemple, d’observer Juliette, au plus près, de longues minutes, dans ses questionnements intérieurs et ses doutes. »
Ce qui est étonnant aussi, c’est que les enfants restent naturels, ils ne cherchent pas l’œil de la caméra.
L. W.-C. : « L’immersion et le temps long ont permis de trouver la bonne distance, d’assumer le fait qu’on était là. Au début, je me suis dit que je n’allais jamais y arriver, que j’allais filmer seule et de loin. Que j’allais zoomer, à distance. Mais en fait non, je me suis rendue compte que ce ne serait pas possible de cerner ce qui se passait là en adoptant cette technique. Il fallait que je m’impose. En silence, en toute discrétion. Je devais être juste là, me sentir légitime. Et ça a fonctionné. Concernant les enfants, il y avait de la curiosité. Mais ils ne posaient pas devant la caméra, c’était plutôt : 'Montre-moi comment ça marche'. Il y avait comme un émerveillement face à ce nouvel outil. Très vite, même les parents nous ont acceptés. Cette confiance acquise par la constance de la relation a beaucoup joué. J’étais là comme un membre de l’équipe de l’école. On a beaucoup d’images, on a tourné longtemps. »