Développement de l'enfant

Les fleurs du mal-être

Suite à l’isolement « sans consentement » des mesures sanitaires, la reprise de l’école en mode militaire et la perspective d’un avenir morose, de nombreux jeunes perdent le goût de vivre. Comment les soutenir et leur rendre le sourire ?

Alors que cette rentrée avait des airs de retour à la normale, la sortie du livre de Jérôme Colin, Les Dragons, remet en lumière le mal-être de nos jeunes. Pour l’écriture de ce troisième roman, il a passé trois mois dans un centre de santé mentale pour adolescent·es, dont il est revenu bouleversé.
« Ce sont des enfants trahis, violés, battus. C’est d’une tristesse infinie, admet le journaliste et romancier. J’ai voulu les prendre eux, parce qu’il n’y a pas une raison de souffrir ou d’être mal, il y en a mille ! ». Le portrait de Colette, l’héroïne, est calqué sur le parcours de Nell, une adolescente étiquetée « chronifiée » (pour ses passages chroniques en institution), avec laquelle il a beaucoup échangé.
« Elle s’en voulait d’être internée, parce qu’elle n’avait pas vécu la même chose que les autres. Elle était là parce qu’elle était incapable d’appartenir au monde. Qu’elle ne comprenait pas ce qu’elle allait pouvoir faire de cette vie qu’on lui avait donnée, où chaque jour paraissait une éternité. On ne peut pas jouer à vivre quand on pense qu’il faut réparer le fait d’être né. »
C’est ce que souligne ce roman : il ne faut pas nécessairement avoir été maltraité·e pour aller mal. « C’est une vraie souffrance. Ce n’est pas juste l’adolescence ». Aujourd’hui, Nell n’est plus là pour le dire de vive voix, elle s’est donné la mort. Pour Jérôme Colin, il est impératif qu’on se penche sur ce problème, parce qu’il touche à la chose la plus importante de notre société : nos jeunes. « C’est quoi un monde où des enfants de 12-15 ans ont envie de mourir ? Peut-on réfléchir à cette question, car ce n’est pas normal. C’est un âge où l’on est censé être furieusement en vie ».  

L’école dépressogène

De fait, les statistiques post-covid de Sciensano font froid dans le dos : un enfant sur trois déclare avoir des troubles anxieux ou souffrir de dépression ; un enfant sur dix avoue avoir déjà pensé au suicide ; tandis que plus de un décès sur quatre est dû à un suicide dans la tranche des 15 à 24 ans*. Si la situation dans les centres de santé mentale s’est aujourd’hui stabilisée, elle n’en reste pas moins préoccupante.
« Le problème avec les chiffres, c’est que lorsque la situation s’améliore un tout petit peu, on n’en parle plus. Mais les chiffres restent alarmants, affirme Sophie Maes, pédopsychiatre et chef d’unité pour adolescents du centre hospitalier le Domaine-ULB. Et depuis le covid, il y a quelque chose de différent : la symptomatologie semble s’être déplacée. Avant, les ados se scarifiaient à la maison. Maintenant, c’est à l’école que cela se manifeste de plus en plus. »
Et de fait, durant cette période, l’école est devenue un lieu de pressions, d’interrogations, de port du masque et d’isolement. En les empêchant de voir leurs copains et copines, on a privé les ados non seulement de leur source de ressourcements, mais aussi de… leur façon de penser.

« Être à l’écoute de ce que nos ados ont à nous dire pour qu’ils puissent entendre ce que nous devons leur dire. Et les rassurer sur notre amour inconditionnel »
Jérôme Colin

Journaliste et auteur des « Dragons »

« Le groupe de pairs est un outil thérapeutique formidable qu’on utilise en milieu hospitalier. Quand on demande aux jeunes ce qui les a le plus aidés, ce qu’ils témoignent, ce n’est pas des entretiens, pas des activités, pas du soutien scolaire. C’est du groupe des jeunes, déclare Sophie Maes. Les pédopsychiatres ont remarqué l’intérêt du groupe dans la construction identitaire : les jeunes pensent ensemble. Ils sont dans la pensée collective. »
Or, si un enfant racontera volontiers sa journée, son chagrin à cause d’une dispute, de retour d’école à ses parents « qui pourront le questionner, nommer ce qui s’est passé, mettre des mots sur ses émotions et proposer des perspectives ou des solutions pour réaborder cette difficulté le lendemain », ce n’est pas le cas d’un ado.
« Les jeunes ne vont plus trouver leurs parents, certifie la pédopsychiatre. Car, à cet âge, la proximité tant physique que psychique est insupportable. Une jeune fille de 15 ans ne monte plus sur les genoux de son père comme lorsqu’elle était petite. Une trop grande proximité psychique est tout aussi insupportable à l’adolescence. Mais ils ne sont pas autonomes pour autant. Ils ont besoin de soutien, de s’identifier et de pouvoir se confier les uns les autres pour pouvoir penser. ‘Mon groupe, c’est ma (seconde) famille’. »

Des enjeux existentiels

Avec un tel régime, on comprend mieux que les jeunes retournent à l’école avec appréhension. « Le coté stressant, stigmatisant, disqualifiant de l’école ne leur est plus tolérable. Cela l’était peu auparavant, cela ne l’est plus du tout », explique la pédopsychiatre. Et de fait, il faut reconnaître qu’il y a un avant et un après covid.
« Le covid nous a confrontés à des enjeux de vie et de mort. Beaucoup d’adultes ont ensuite changé de mode de vie, d’activité professionnelle, de couple… Cela nous a tous amenés à nous poser des questions existentielles et à revoir nos choix de vie. Mais les ados aussi se posent beaucoup de questions. Alors quand on leur propose une reprise scolaire non adaptée, cela ne fait pas sens pour eux, remarque Sophie Maes. Car un adulte dont le métier ne fait plus sens peut en changer, mais un ado, lui, il a quoi comme option ? »
Ajoutez à cela un manque de perspectives dans l’avenir et le tableau est complet. « Quels sont les idéaux de notre société, interroge Jérôme Colin. Qu’est-ce que le capitalisme offre comme idéal à nos enfants ? Évidemment, on ressent tou·tes cette joie brève à consommer. Mais ce n’est pas un projet de vie, pas un idéal de société ». D’où cette sensation de perte de sens.
On observe d’ailleurs que de nombreux jeunes ne veulent pas d’enfant. « Ce n’est pas par égoïsme. Au contraire, ils sacrifient leur désir d’enfant parce qu’ils n’ont pas suffisamment confiance en l’avenir. Nous ne leur offrons pas un monde avec des perspectives assez rassurantes pour mettre un enfant au monde. C’est extrêmement symptomatique, affirme Sophie Maes. Ils se projettent dans le futur… Ce qui vient nourrir énormément d’idées suicidaires ».

La force du groupe

À qui la faute ? « Tou·tes les adultes sont responsables, affirme Sophie Maes. Nous ne prêtons pas assez attention aux besoins de nos adolescent·es. Lorsqu’on a annoncé aux familles qu’on avait droit à un seul contact par famille, à aucun moment on a dit de privilégier les copains/copines des enfants. Pourtant, c’était leur meilleur·e ami·e qu’il fallait inviter : ce sont eux qui en avaient besoin ! ».
Même son de cloche chez Jérôme Colin : « Si le sujet est un peu tabou, c’est parce que c’est le symptôme d’une société qui ne fonctionne pas. Tout enfant qui arrive en psychiatrie, il arrive par notre faute. On a encore du mal à le reconnaître ».
Si l’école a clairement besoin d’être repensée, remaniée, révisée, que pouvons-nous faire en tant que parent en attendant ? Être moins persécutant, plus compréhensif et plus sécurisant. « Il faut traiter tous les enfants comme s’ils étaient internés en psychiatrie. Avec précaution », invite Jérôme Colin. Leur parler d’égal·e à égal·e. Que ce soit un véritable échange. « Pas de celui qui sait à celui qui ne sait pas. Être à l’écoute de ce qu’ils ont à nous dire pour qu’ils puissent entendre ce que nous devons leur dire. Et les rassurer sur notre amour inconditionnel ».
La pédopsychiatre conseille, elle, d’ouvrir nos portes : « Ce qu’il nous reste à proposer, c’est la plus-value que les ados s’apportent. Il faut soutenir leur vie sociale. Ouvrir la porte de nos maisons aux groupes d’ados, être ouvert·e à l’improvisation ». Et s’il y a un changement d’école, vérifier leur capacité à reconstruire le lien. « Celles et ceux qui ont le mieux résisté sont celles et ceux qui avaient des activités sportives. Avoir une vie sociale riche, c’est extrêmement protecteur ». La force du groupe. Celle qui donne le courage de demander de l’aide.
« Quand tu as mal, dis que tu as mal. Quand tu es triste, dis que tu es triste, implore Jérôme Colin qui a délibérément choisit son prénom pour le héros principal. C’est une manière de dire ‘Peu importe que vous croyez que c’est mon histoire, même si ça l’était, je n’en aurais pas honte’. Au contraire, je suis un dragon. Je suis fier. J’ose dire sans honte ce que je suis, car je sais qu’on est plusieurs. On est une communauté ». Ce livre est une invitation à faire parler les jeunes. Et à leur faire prendre conscience qu’ils ne sont pas seul·es. Ensemble, c’est tout.

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