Crèche et école

Les milieux d’accueil de demain

Derrière ce marasme, certaines actions viennent éclairer l’horizon du secteur de la petite enfance. Chacun∙e d’entre nous a d’ailleurs un rôle à jouer : à vos claviers !  

La nécessité vitale d’un refinancement structurel du secteur, tout le monde en est convaincu, mais personne n’y croit vraiment. Pas question de se morfondre ou de croiser les bras pour autant : des esquisses de solutions et des pistes d’actions pointent à l’horizon.

► Une première formation de bachelier

La première nouvelle enthousiasmante, c’est la création du bachelier Petite Enfance. « Jusqu’ici, le faible niveau de formation participait au manque d’attractivité du métier. En rehaussant le niveau initial, cela devrait susciter de nouvelles vocations. Peut-être aussi chez les hommes, espère Laurence Paulet, la directrice du Fraje. Cela dit, l’exemple flamand doit nous faire réfléchir. Chez eux, le bac existe depuis dix ans : la formation est intéressante mais les barèmes ne suivent pas ! Nous avons trois ans pour régler la question salariale : les premiers et les premières étudiant·es sont entré·es cette année, ils et elles seront diplômé·es en 2026. S’il n’y a pas moyen de les engager au barème de bachelier, il y a le risque que ces diplômé·es n’investissent pas le secteur de l’enfance. Ce qui le déforcerait encore ».
La directrice du Fraje en profite pour souligner le paradoxe belge. « D’une part, nous sommes les moins bien formés pour l’accueil et d’autre part, nous sommes le pays qui accueille les enfants les plus jeunes au sein de l’Union Européenne : certains ont moins de 2 mois ! Nous avons une responsabilité collective énorme, cela nécessite des connaissances et des compétences pointues ».
Comment reconnaître ces compétences et ces connaissances ? Vanessa Gomez, directrice des Maisons d’Enfants Actiris, donne l’exemple de la remarquable pédagogie de la petite enfance mise en place à Pistoia, en Italie. « Toute la ville est tournée autour de l’accueil de l’enfant. Ce sont souvent des universitaires qui accueillent les enfants. Françoise Dolto a reconnu que les puéricultrices avaient un des métiers les plus importants auprès des 0 à 3 ans. Elles devraient être payées comme universitaires ! ».

► La révision de la Participation Forfaitaire

La seconde bonne nouvelle, c’est la révision de la grille tarifaire et la diminution de la Participation Forfaitaire des Parents (PFP) pour les bas et moyens revenus dans les crèches subventionnées dès janvier 2025. « Baisser le coût de la crèche est une mesure dont la Ligue des familles est demandeuse de longue date, car ce budget représente une dépense très importante pour de nombreux ménages, explique Damien Hachez, chargé d’études à la Ligue des familles. En 2022, lors de notre dernier Baromètre, les parents nous indiquaient y consacrer en moyenne 463€ par mois. Et 25% d’entre eux nous témoignaient ne pas inscrire leur enfant en raison du coût ».
On peut donc se réjouir de cette décision. Mais payer moins, cela signifie aussi moins de rentrées pour les crèches… Sylvia Anzalone, porte-parole de l’ONE, se veut rassurante : « Avec une rétrocession, l’ONE va arrondir les angles pour que les milieux d’accueil n’y perdent pas. C’est aussi une des raisons pour laquelle on aimerait que le secteur soit non-marchand ».
Pour la Ligue des familles, il est essentiel de surveiller l’impact financier de cette mesure sur la viabilité économique des crèches, subventionnées ou non. « Les changements tarifaires pourront, dans une temporalité plus longue, modifier les comportements des parents selon leur niveau de revenus quant au choix de la crèche, ce qui pourrait altérer l’équilibre financier du paysage de l’accueil de la petite enfance si davantage de familles avec des revenus élevés décidaient d’opter préférentiellement pour des crèches non-subventionnées suite à la hausse tarifaire, ou si davantage de familles ayant des revenus plus faibles fréquentent les crèches subventionnées ».
À cette remarque, la porte-parole répond franchement : « Je n’ai pas de boule de cristal : difficile d’évaluer la mesure avant sa mise en œuvre. On tente d’améliorer les choses, mais on n’a pas dit que ce serait parfait. Il faudra peut-être rectifier ».

► 5 200 places pour fin 2025

Enfin, troisième point encourageant, c’est l’enveloppe allouée par la ministre Bénédicte Linard pour un nouveau Plan Cigogne qui ambitionne la création de 5 200 places supplémentaires d’ici la fin 2025. Pourquoi aussi loin alors qu’on en a besoin dès maintenant ? « C’est le temps pour que les infrastructures soient construites », explique la porte-parole de l’ONE.
Pour que ces places voient le jour, mais également que d’autres soient créées, la Ligue des familles a envoyé un mémorandum aux partis en vue des élections de juin 2024. « Pour améliorer la situation et répondre davantage aux besoins des familles, nous demandons la création de 10 000 places supplémentaires, en plus des 5 200, souligne Damien Hachez. Cela permettrait d’atteindre un taux de couverture moyen de 50% en Fédération Wallonie-Bruxelles et donc d’améliorer significativement la situation des familles ».
Considéré comme une problématique majeure, le manque de places en crèche est le cœur de campagne 2023 de la Ligue des familles. Pour sensibiliser la population et les responsables politiques, elle a créé une carte interactive qui permet à tout un chacun de vérifier le taux de couverture dans sa commune, et de manifester si nécessaire, son souhait que le nombre de places en crèche augmente auprès de sa/son bourgmestre pour qu’il agisse en conséquence.
« Parler de taux de couverture sans distinguer le pourcentage de crèches subventionnées et non-subventionnées est hasardeux. Il faut comparer des poires avec des poires, remarque Sylvie Anzalone, car vous avez des communes avec un taux de couverture extrêmement élevé, mais si vous approfondissez, vous réalisez que c’est grâce au non-subventionné. Les parents payent donc au forfait : disposent-ils tous réellement d’une accessibilité ? ». La porte-parole de l’ONE reconnaît toutefois que toute action de sensibilisation est importante « Certain·es bourgmestres ont compris qu’il fallait investir dans ce secteur, d’autres toujours pas… ». Alors, faites preuve de curiosité : allez voir la situation dans votre commune sur www.manquedeplaces.be et prenez part au changement.

Découvrez ici, l'ampleur du manque de places dans votre commune

EN SAVOIR +

Les mesures d’urgence ONE

Sylvie Anzalone, porte-parole de l’ONE, souligne les mesures d’urgence mises en place pour pallier le manque de places en milieu d’accueil :

  • La cellule Parents-Accueil. « On prend les parents au cas par cas, et on vérifie leur besoin actuel. Les coordinatrices vont dans les milieux d’accueil, contrôlent et font un ‘matching’ entre les offres et les demandes. Il y a un gros travail de mise à jour et de contact individuel avec les parents pour voir si une solution leur convient ».
  • Le lancement du site my.one.be. « Cette plateforme remplace Premiers pas, et a été améliorée suite aux retours des parents. Certes, elle ne créée pas de places, mais elle permet de géolocaliser les places disponibles en milieu d’accueil dans chaque commune. Mais pas que : elle rassemble aussi les écoles de devoirs, les garderies, les lieux de consultation pour les enfants ou des activités extra-scolaires. En rassemblant le tout, cela permet aux parents de mieux s’y retrouver et de perdre moins de temps ».
  • La mesure financière. 250 €/enfant ont été alloués à tous les milieux d’accueil, subventionnés ou non.

DÉCODAGE

Les personnes au chômage favorisées dans l’octroi de places en crèche ?

Suite à la réforme Milac, de nombreuses rumeurs ont circulé sur les réseaux sociaux. Notamment le fait que l’octroi des places en crèches serait prioritaire pour les personnes au chômage. « C’est n’importe quoi ! Dans les cas de pénurie, il y a toujours une manière de trier les demandes : par date d’inscription. Premier inscrit, premier servi, rappelle Cécile Van Honsté, directrice de la FILE. Mais il y a une règle qui permet de déroger à la liste d’attente pour minimum 10% – chiffre qui passera de 20 à 50% avec la réforme Milac –, et qui définit la priorité, dans les crèches subventionnées, pour les fratries, le membre du personnel et les priorités sociales (telles que les personnes en situation difficile repérées par les assistantes sociales). Mais cette décision appartient au pouvoir organisateur. Au bout des 10%, on peut revenir à la liste d’attente classique ».
La réforme Milac a mis l’accent sur les familles monoparentales exclusives, entendez qui ne sont pas en garde alternée, ce qui, rappelons-le, concerne les mères dans plus de 80% des cas. « On s’est rendu compte que la mise à l’emploi était difficile dans ces conditions », mentionne Cécile Van Honsté. Or, constat sans appel : au-delà des enfants eux-mêmes, l’impact du manque de place en crèche se joue particulièrement sur la vie des femmes.
« Ce sont souvent les mamans qui diminuent ou ne reprennent pas le travail, car elles portent souvent encore en premier chef la casquette de la charge familiale et elles ont généralement les salaires les plus faibles. Or, s’il faut choisir où raboter parmi les revenus disponibles, on choisira dans beaucoup de cas le plus faible, constate Damien Hachez de la Ligue des familles. Cette pénurie de crèche a donc un impact sur la capacité des mamans à pouvoir avoir ou maintenir une activité professionnelle. »
Raison pour laquelle, l’ouverture imminente d’un cinquième site Maison d’Enfants est réjouissante. Ces maisons accueillent les enfants de 0 à 3 ans des personnes inscrites chez Actiris qui sont soit dans des démarches de recherche d’emploi, soit qui viennent de signer un nouveau contrat après une période de chômage. Une option hyper-flexible et à moindre coût qui permet l’accueil de plus de 300 enfants par an.
« Certaines familles nous disent qu’on a changé leur vie, relate Vanessa Gomez, la directrice. Parfois, on le voit physiquement : les mères reprennent soin d’elles, leur posture est différente. Souvent, elles pointent notre disponibilité, notre écoute et notre accompagnement. On a mis énormément de choses en place pour comprendre les parents qui ne parlent pas notre langue. Mais contrairement aux autres crèches, nous avons énormément de personnel : nous avons une puéricultrice pour quatre enfants et non sept ». Ce qui pourrait apparaître comme un luxe aux yeux de certain·es est en réalité un minimum pour un accueil de qualité.

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