Loisirs et culture

Les nombreuses vies des livres du prix Versele

Le prix de littérature Bernard Versele se veut plus que jamais inclusif. Alors qu’il vient de lancer une collaboration inspirante avec la Ligue Braille, retour sur les bienfaits d’une sélection de livres jeunesse qui entend profiter au plus grand nombre. Au-delà de la maladie. Au-delà de la situation de handicap. Au-delà de l’adversité.

Constance est rentrée dans le petit studio d’enregistrement installé au 3e étage des bâtiments de la Ligue des familles. Face à elle, un micro et un ordinateur prêt à recevoir les mots qu’elle va partager avec un public invisible. Objet de sa lecture, un livre pour enfants tiré de la sélection du prix de littérature jeunesse Bernard Versele.
Constance fait partie d’un groupe d’une dizaine de bénévoles qui s’investit dans un projet inspirant. Il s’agit d’enrichir la bibliothèque sonore de la Ligue Braille qui compte déjà pas moins de 27 000 titres audio, mais dont le catalogue « jeunesse » restait moins étoffé. Les deux institutions centenaires ont donc uni compétences et savoir-faire pour fournir un service plus étendu, une offre plus riche aux familles confrontées à la cécité ou à la malvoyance.

Plus d’inclusivité, plus d’accessibilité

« Du côté de la Ligue des familles, raconte Léa Schmitz, chargée de projets, on voulait rendre le prix Versele plus inclusif, plus accessible à tous. Au vu des bienfaits que peuvent apporter aux enfants les univers des livres sélectionnés chaque année, on se disait que c’était bête de priver tout un public de cette aubaine ». D’où l’idée de ces enregistrements, de cette collaboration avec la Ligue Braille. La première fournée d’enregistrements « prix Versele » porte sur les lauréats 2023. Mais dès l’automne, d’autres livres seront lus, ceux de la présélection 2024, ceux que les enfants vont être amenés à départager dans les écoles.
Parfois, dans les livres, il y a des choix à faire. Tous ne se prêtent pas à la lecture. « Il y a des livres qu’on devra mettre de côté parce que le rapport image/texte est trop puissant, explique Léa. Mais on proposera le maximum. Pour les années qui viennent, l’idée, c’est d’avoir beaucoup de volontaires pour que ça se fasse de façon naturelle et que ça nous permette de proposer les livres dans les classes où se trouvent des élèves aveugles, malvoyants mais aussi dyslexiques ».

Pour les dyslexiques aussi

Direction les bureaux de la Ligue Braille où on interroge Audrey Linchamps, la bibliothécaire de l’institution. Elle aussi évoque la possibilité donnée aux enfants dyslexiques d’accéder au catalogue audio de la Ligue Braille.
« On avait de plus en plus de demandes de ce type-là, on a donc ouvert notre bibliothèque audio gratuitement à toute personne ‘empêchée’ de lire. Aux personnes dyslexiques, donc. Mais aussi aux personnes qui sont dans l’incapacité de tenir physiquement un livre (paralysie, maladie de Parkinson) ». Dans ces cas-là, la procédure est simple, pour avoir accès à la bibliothèque, il suffit de produire un certificat médical ou un bilan de logopédie pour attester de « l’empêchement de lire ».
Pour les personnes déficientes visuelles, la procédure est un peu différente. Là, c’est la Ligue Braille qui fournit un document à compléter par l’ophtalmologue. Dès que cette formalité est remplie, l’adulte, l’enfant, sera automatiquement inscrit à la Ligue Braille et profitera de tous ses services, y compris l’accès au catalogue de livres enregistrés. Les bienfaits de ceux-ci sont clairement identifiés par les deux Ligues. « De notre côté, entame Léa, au niveau du prix Versele, cela permet à certains enfants de se reconnaître davantage dans le processus de sélection du prix, de mieux s’apprivoiser l’univers livresque ».

Enrichir le catalogue

Audrey Linchamps explique aussi que le livre audio permet d’acquérir une certaine autonomie, tout en étant un facilitateur au sein de la tribu. « Pour les papas et les mamans qui travaillent, qui sont fort occupés, qui ont d’autres enfants, notre catalogue peut être une véritable aide au quotidien », lance Audrey Linchamps.
L’audio permet aussi aux enfants déficients visuels de renouer avec le côté « plaisir » du livre. « Il faut se rendre compte que manipuler un livre en braille n’est pas une chose aisée, notamment dans les transports en commun. Et puis, la lecture en braille, c’est quelque chose de fort solitaire. Avec un enregistrement, on crée un moment commun, de manière plus égale. Des parents aveugles vont ainsi louer un livre jeunesse audio pour le partager avec leur enfant voyant. Au sein d’une fratrie, lorsqu’un des enfants est malvoyant, cela peut également participer à un moment d’échange intéressant ».
La qualité de ce partage dépend de l’ouvrage choisi. « C’est tout l’intérêt de ce partenariat avec la Ligue des familles, affirme Audrey Linchamps. La sélection du prix Bernard Versele garantit le côté qualitatif des ouvrages sélectionnés. Cela va nous permettre d’enrichir le catalogue jeunesse, certes déjà fort de 2 700 titres, mais qui était un peu limité par rapport aux autres sections ».

POUR ALLER + LOIN

Le livre pour enfants, vecteur d’inclusion

Dans son travail quotidien à la Ligue des familles, Léa Schmitz est aussi impliquée dans les cours de FLE (français/langue étrangère). Les ouvrages sélectionnés par le prix Bernard Versele, elle les utilise aussi avec ses apprenant·es.
« Pour moi, l’objectif, c’est de démystifier la littérature, de les familiariser aux livres. J’utilise les ouvrages dont je dispose à la Ligue des familles, je les prête. Ils ou elles rentrent avec à la maison. Mon espoir ? Qu’ils ou elles passent du temps avec leurs enfants autour des textes, des images. »
Parfois, au début, l’approche n’est pas toujours bien accueillie par certains parents qui participent aux séances, ils trouvent la démarche infantilisante. Pourtant, au final, le livre jeunesse se révèle être très efficace dans son rôle d’apprentissage. « Je choisis des thématiques qui les touchent, qui sont directement liées à leur parentalité. Cela peut traiter du sommeil des enfants. Mais aussi des stéréotypes, du racisme qu’ils ou elles peuvent vivre. Du fait d’être attaché à un pays et d’en être loin ».
Ramenés à la maison, ces livres peuvent susciter des discussions, aider à mettre des mots sur les choses que ce soit en français ou dans une autre langue d’ailleurs. « Bon, parfois, je vois bien que certains n’ont pas utilisé le livre chez eux ou chez elles. Mais, en revanche, d’autres me partagent des anecdotes. Il y a des enfants qui ne veulent pas lâcher le livre parce qu’ils prennent du plaisir à le feuilleter. A contrario, j’ai l’histoire d’un enfant qui n’a jamais osé ouvrir un livre parce qu’il y avait sur la couverture un dinosaure qui lui faisait peur ».
L’idée, c’est que ce moment d’échange soit naturel. Pas d’obligation. Pas de pédagogie rébarbative. Le livre reste là, sur la table du salon et se partage, si besoin. Dans les séances de FLE, l’ouvrage n’est qu’un point de départ. « La suite, c’est une discussion entre adultes. On parle du ressenti du personnage, des illustrations. Et puis on va au fond du sujet sur le mode ‘Et vous, ça vous fait penser à quoi ?’. Le choix des livres est facilité par les titres du prix Bernard Versele qui l’alimente. Je sais ce que je leur prête. J’ai la certitude que c’est de qualité. C’est apaisant pour moi dans ma démarche ».

MAIS ENCORE…

Grâce au Fifty-One, les livres circulent

Dans le cadre du prix Versele, ce sont des milliers de livres qui passent entre les mains des enfants qui établissent le palmarès final. Ce dispositif impressionnant est, en grande partie, rendu possible grâce au soutien du club service Fifty-One. Celui-ci met 10 000€ sur la table pour acheter les ouvrages qui seront soumis à la critique des jeunes lecteurs et lectrices. Au bout du processus de vote, ces livres retournent dans les différents clubs du réseau Fifty-One implantés en Belgique francophone. Et là, ils s’offrent une nouvelle vie.
« Chaque club est invité à rechercher dans son environnement social une utilisation pratique de ces livres, explique René Constant, ancien gouverneur du Fifty-One, président du club de Flémalle et fondateur du projet autour du prix Bernard Versele. Il faut qu’ils circulent de façon utile, soient mis à la disposition des enfants ». Leurs destinations ? Des classes, des écoles de devoirs, des bibliothèques, des hôpitaux.
Chaque club local évalue ainsi les besoins de sa communauté. À Flémalle, l’aide aux écoles touchées par les inondations de 2021 s’est imposée comme une évidence. « Nous avons donné des livres à deux établissements scolaires de Trooz qui avaient été sinistrés lors de la montée des eaux. À travers ce genre d’actions, nous collons parfaitement à un des objectifs de notre organisation qui est de défendre les intérêts et les droits de l’enfant ». Et René Constant de conclure « un enfant qui lit, c’est un adulte qui se construit ».

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