Crèche et école

L’inclusion comme horizon

L’inclusion comme horizon

Remédier au phénomène de relégation vers l’enseignement spécialisé d’élèves issus de familles vivant dans la précarité est essentiel. Car ces enfants sont sans doute celles et ceux qui ont le plus besoin du soutien de l’école pour sortir du cycle de l’exclusion et voir s’ouvrir d’autres horizons.

« La plupart des jeunes et des parents que je croise ont une expérience de l’enseignement spécialisé », confie Arnaud Groessens. Cet ancien prof de secondaire dans l’enseignement général se souvient d’avoir été secoué lorsqu’il a été engagé chez ATD Quart-Monde.
« C’est la première fois que j’avais accès à la réalité des familles précarisées, qui sont complètement mises de côté. Les enfants y sont généralement orientés vers l’enseignement spécialisé dès la 3e maternelle ou la 1re primaire, et il n’est pas rare que les parents, voire les grands-parents, aient eux-mêmes fréquenté cet enseignement. C’est ce qu’on appelle un mécanisme de reproduction de la pauvreté, parce que les perspectives de vie active et d’autonomie réelle après l’enseignement spécialisé sont faibles. »
Arnaud Groessens est l’auteur, avec Marie D’Haese de la CODE (plateforme qui regroupe 19 ONG de défense des droits de l’enfant), du rapport Pauvreté et enseignement spécialisé : ‘Adieu la relégation ! Bonjour l’inclusion !’. Le terme « inclusion » fait écho au concept d’« école inclusive », que l’Avis n°3 du Pacte pour un enseignement d’excellence définit comme « permettant à un élève à besoins spécifiques de poursuivre sa scolarité dans l’enseignement ordinaire moyennant la mise en place d’aménagements raisonnables d’ordre matériel, pédagogique et/ou organisationnel ».

En route vers l’école inclusive

Concrètement, pour rendre inclusif l’enseignement ordinaire, le Pacte prévoit de le transformer en profondeur grâce à l’approche dite « évolutive ». Les élèves présentant des besoins spécifiques (troubles d’apprentissage ou de comportement, handicap…) seront accompagnés tout au long de leur parcours grâce à la mise en place d’aménagements raisonnables et suivis régulièrement au moyen d’un dossier d’accompagnement (DAccE).
De leur côté, les écoles pourront être soutenues dans cette tâche par de nouvelles structures créées à cet effet et complémentaires des Centres PMS : les pôles territoriaux. D’autres mesures sont prévues, comme la formation professionnelle continue des enseignant·es, la mise en œuvre d’un accompagnement personnalisé, le développement de classes à visée inclusive et la poursuite de projets d’intégration pour les élèves ayant fréquenté l’enseignement spécialisé.

Claude Prignon  - Coalition des parents de milieux populaires et des organisations qui les soutiennent
« Il y a un malentendu monstre entre les attentes des familles défavorisées par rapport à l’école, et les attentes de l’école par rapport à ces familles »
Claude Prignon

Coalition des parents de milieux populaires et des organisations qui les soutiennent

« Avant d’orienter un élève vers l’enseignement spécialisé, un processus en vue de le maintenir dans l’enseignement ordinaire devra donc être mis en place. Une réforme de l’orientation vers l’enseignement spécialisé est également à l’ordre du jour », résume Sylvie Cieslik, en charge du chantier 14 à la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), chantier qui vise le décloisonnement de l’enseignement spécialisé et la réponse aux besoins spécifiques des élèves dans l’enseignement ordinaire.
« L’objectif est d’apporter une réponse aux besoins spécifiques des élèves dans l’enseignement ordinaire, tout en s’appuyant sur l’expertise des équipes des écoles d’enseignement spécialisé. Dès lors, ne fréquenteront l’enseignement spécialisé que les élèves qui en ont réellement besoin. »
Dans son rapport, la CODE partage, dans une certaine mesure, cet optimisme. Et souligne que la réforme en cours s’inscrit dans le contexte plus large d’autres réformes, comme celle du tronc commun, de l’enseignement maternel, etc. Mais la route qui mène à l’école inclusive s’annonce longue. « Il va falloir du temps, admet Sylvie Cieslik, parce que la réforme est énorme, elle est systémique et va demander un changement de paradigmes ».
Les ONG s’interrogent également : en pratique, est-ce que cela marchera ? L’enseignement ordinaire disposera-t-il des moyens humains et financiers nécessaires à une transformation réussie ? « Dans les écoles à indice socioéconomique faible, un très grand nombre d’élèves sont en difficulté, indique Claude Prignon de la Coalition des parents de milieux populaires et des organisations qui les soutiennent. Ces écoles doivent absolument bénéficier de moyens supplémentaires pour que le suivi personnalisé des élèves devienne réalité ». Un exemple ? Le Pacte prévoit la présence en classe d’un-e prof supplémentaire, pour faire face aux besoins spécifiques des élèves. « Mais si ce deuxième prof ne vient que deux ou trois heures par semaine, ce système de co-enseignement ne servira à rien ».

Beaucoup de croyances, peu de confiance

Parmi les recommandations de la CODE pour donner toutes ses chances à l’inclusion, figure celle de chercher à mieux comprendre les causes de la relégation. Car, pour Claude Prignon, à la base du problème, « il y a un malentendu monstre entre les attentes des familles défavorisées par rapport à l’école, et les attentes de l’école par rapport à ces familles. Quand les profs des écoles que je fréquente disent ‘Les parents s’en foutent’ et que j’entends ce que vivent les parents… c’est le jour et la nuit. Les parents ne s’en foutent pas : ils ont peur et ne savent pas comment s’y prendre, ils n’ont pas les codes de l’école ».
Lorsqu’il accompagne des parents, souvent issus de l’immigration, dans leurs démarches auprès d’écoles bruxelloises, Claude Prignon constate que « seuls, ils sont vite renvoyés d’où ils viennent parce qu’ils ne parlent pas bien français, portent le foulard ou que ce n’est pas le bon moment… Alors que si quelqu’un d’une association les accompagne, la porte s’ouvre. C’est étonnant, mais c’est comme ça ».
Arnaud Groessens confirme que bien des préjugés subsistent dans les écoles au sujet des élèves issus de familles défavorisées, qui seraient incapables d’apprendre comme les autres, ou de rester assis sur une chaise… « Quand on passe la porte des maisons et des appartements, ajoute-t-il, on se rend compte que les parents ont souvent vécu, dans leur enfance, des discriminations, voire de la violence, du fait de l’école. Une grand-mère de Verviers m’expliquait qu’elle avait dû passer toute une journée sous la chaise de son prof. Dans ces conditions, ce n’est pas évident d’être en confiance avec l’école ».
Arnaud Groessens invite également à pousser le diagnostic de la surreprésentation des enfants de milieux défavorisés dans l’enseignement spécialisé jusqu’au bout, sans tabou, et à « creuser les liens éventuels entre précarité et troubles de l’apprentissage ou du comportement, pour pouvoir mieux agir dessus ».
Il y aurait donc, de part et d’autre de la relation entre l’école et ces familles, un trop plein de croyances et un manque de confiance. Or, comment vient-on à bout d’un « malentendu monstre » ? En se parlant, en s’écoutant. En communiquant clairement. Un enjeu essentiel, aux yeux de nos deux spécialistes proches des familles, réside donc dans la manière dont l’école informe et entend les parents.
« Les parents témoignent souvent du fait qu’ils reçoivent assez violemment la proposition d’orientation vers le spécialisé, raconte Arnaud Groessens. Ils ne sont pas forcément informés de leurs droits, du fait qu’ils peuvent refuser ou demander un diagnostic d’expert·e externe. »

Précarité et enseignement spécialisé : moins de relégation, plus d’inclusion

Crèche et école

Précarité et enseignement spécialisé : moins de relégation, plus d’inclusion

Inclure, c’est aussi impliquer les familles concernées

Se parler, s’écouter, c’est aussi donner la parole aux premiers et premières concerné·es au moment de penser les réformes. Notamment celle de l’enseignement spécialisé, un chantier qui vient à peine de commencer. « Toutes les réformes sont discutées, entre autres, avec les associations de parents, rappelle Sylvie Cieslik (FWB). Les parents sont donc autour de la table, au même titre que les autres acteurs du Pacte ».
Mais ces associations sont généralistes, signale Arnaud Groessens, qui plaide avec la CODE pour une prise en compte spécifique des difficultés liées à la pauvreté et à l’exclusion sociale. Il insiste sur la nécessité d’entendre également les familles et les professionnel·les concerné·es. Du côté de la FWB, on nous assure que cet appel des ONG a été entendu, et qu’une rencontre sera organisée.
« En fin de compte, les jeunes disent toujours que c’est une rencontre, une écoute, qui a tout changé. Qu’on leur parle dignement, conclut notre interlocuteur chez ATD Quart-Monde. Il n’est pas trop tard pour prendre ce temps. L’enjeu humain est tellement important : s’émanciper dans la vie active pour sortir de la pauvreté. Nous pensons que c’est possible, à condition d’y travailler ensemble. »

EN SAVOIR +

Quels objectifs ?

Dans le cadre du Pacte pour un Enseignement d’excellence, différentes mesures sont progressivement mises en place pour qu’un maximum d’élèves trouvent leur place dans l’enseignement ordinaire malgré leurs difficultés. Objectif d’ici 2030, que le pourcentage d’élèves inscrits dans l’enseignement spécialisé revienne à son niveau de 2004 (2020 : 4,3% => 2030 : 3,6%).
Entre l’année scolaire 2019-2020 et 2020-2021, une diminution des inscriptions dans l’enseignement spécialisé a pu être observée. Un premier effet, selon la Fédération Wallonie-Bruxelles, de certaines des mesures prises dans le cadre du Pacte.

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