Crèche et école

Précarité et enseignement spécialisé : moins de relégation, plus d’inclusion

Précarité et enseignement spécialisé : moins de relégation, plus d’inclusion

Le constat est partagé dans les secteurs concernés : trop d’enfants issus de milieux défavorisés sont orientés vers l’enseignement spécialisé. La Fédération Wallonie-Bruxelles propose d’y remédier dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence, vaste chantier de réformes visant – entre autres – à construire l’école inclusive de demain. Une ambition que salue la Coordination des ONG pour les droits de l’enfant (CODE) dans un récent rapport. Tout en mettant en garde : inclure, c’est aussi entendre et informer, dès le départ, les familles dans la précarité.

Ghislaine et Mohamed suivent des cours de français dans une association de quartier, à Molenbeek. Nous les y rencontrons autour d’un verre de thé à la menthe, en compagnie de leur prof, Rachida. Tour à tour, ils nous parlent du parcours scolaire de leurs enfants. Ghislaine en a trois, Mohamed cinq. La conversation passe du français à l’arabe et au rif. Car, pour être sûrs de trouver les mots pour parler de ce sujet complexe, ils préfèrent s’exprimer dans leurs langues maternelles, que Rachida nous traduit.

« Elle est beaucoup plus joyeuse aujourd’hui »

Mohamed se lance. Lorsqu’une de ses filles était en 1re primaire, l’école a insisté pour l’orienter vers l’enseignement spécialisé, raconte-t-il. D’instinct, le papa a refusé : « Je n’étais pas d’accord. Ma fille n’était qu’en première année, elle commençait à peine à apprendre à lire et à écrire. Je l’ai emmenée faire un test et on m’a dit que tout allait bien. Alors j’ai dit à l’école : si ça ne va pas cette année, pas de problème, elle va doubler ».
Et c’est ce qui s’est passé : la petite fille a recommencé sa 1re primaire, avant de continuer sa scolarité sans encombre dans l’enseignement ordinaire. Elle est aujourd’hui en 3e secondaire. « L’école me dit parfois que je peux être fier d’elle, continue Mohamed. Si j’avais accepté le passage dans le spécialisé, je ne sais pas où elle en serait aujourd’hui ».

« On m’a dit directement : ‘Votre fils, on ne peut pas l’accepter ici. L’institutrice n’a pas le temps de s’en occuper’ »

La fille ainée de Ghislaine a été, quant à elle, orientée vers l’enseignement spécialisé en 2e primaire, pour cause de troubles de l’apprentissage. « Elle avait un problème de lecture », explique la maman, qui a accepté ce changement d’école. Avant de constater au fil des années que sa fille n’était pas heureuse et de s’inquiéter de la voir stagner dans ses apprentissages. « Ma fille voyait sa petite sœur, restée dans l’enseignement ordinaire, ramener ses devoirs à la maison et ne se sentait pas bien dans sa peau. Elle-même ne ramenait que des exercices de maternelle, toujours les mêmes. Elle n’évoluait pas ».
Ghislaine s’est alors démenée pour que sa fille réintègre l’école ordinaire. Ce qu’elle a fini par obtenir, dans l’année en dessous de celle qui correspond à son âge. « Cette petite est volontaire et très organisée, témoigne Rachida, qui la voit à l’école des devoirs. C’est ce qui lui permet de rattraper le retard qu’elle avait pris. Elle est beaucoup plus joyeuse aujourd’hui, elle revit ».

« L’institutrice n’a pas le temps de s’en occuper »

Aujourd’hui, ce n’est plus pour leurs grandes filles que Mohamed et Ghislaine s’inquiètent, mais pour leurs petits derniers. Il y a un an, alors qu’il avait 3 ans, le fils de Mohamed a arrêté de parler. Depuis, il subit une batterie de tests : IRM, tests d’audition, tests psychologiques... « Chaque semaine, j’ai un rendez-vous à l’hôpital, mais on n’a encore rien trouvé », explique le papa.
L’école ne cesse de l’appeler et d’insister pour orienter le petit garçon vers l’enseignement spécialisé : « On m’a dit directement : ‘Votre fils, on ne peut pas l’accepter ici. L’institutrice n’a pas le temps de s’en occuper’ ». Ghislaine, elle, est convoquée le lendemain à l’école... Elle aussi s’attend à ce qu’on lui parle d’enseignement spécialisé et a déjà consulté des spécialistes, qui lui ont dit que le QI de son fils était un peu faible.
Toutes ces démarches prennent du temps et ont un prix. « Au total, pour son fils et sa fille, Ghislaine en a pour 800€ par mois de logopédie », traduit Rachida. Montant qui n’est que peu remboursé puisque, la logopède de l’école étant débordée, la maman a dû se tourner vers le privé. Ces suivis réguliers, ainsi que les nombreuses factures d’hôpital, plombent sérieusement le budget des deux familles qui, parmi leurs nombreux points communs, ont celui de ne pouvoir compter que sur un seul revenu, celui du chômage. À la pression du milieu scolaire s’ajoute donc la pression financière.

L’inclusion comme horizon

Crèche et école

L’inclusion comme horizon

Une douloureuse responsabilité

Que faire pour leurs petits garçons ? Ils sont si jeunes, et les diagnostics encore flous. Ghislaine et Mohamed se questionnent. Tous deux veulent le meilleur pour leurs enfants et sont prêts à accepter une orientation vers l’enseignement spécialisé si elle se justifie. Mais comment en être sûr ? Et comment savoir si leurs fils pourront réintégrer l’enseignement ordinaire dans quelques années, s’ils évoluent bien ? « On garde l’espoir », avance Ghislaine en guise de conclusion.
Bien que peu scolarisés, ces deux parents sont volontaires et bien accompagnés. Ils connaissent maintenant leurs droits. Ils savent donc que la décision finale leur appartient et s’en sentent douloureusement responsables, car leur marge de manœuvre est limitée. D’une part, un enseignement ordinaire incapable d’offrir à leur enfant en difficulté le suivi personnalisé dont il ou elle a besoin et d’autre part, un enseignement spécialisé qui – sans préjuger de sa qualité – n’est peut-être pas destiné à l’accueillir et pourrait limiter ses perspectives d’avenir…

POUR ALLER + LOIN

Quels types ?

On distingue l’enseignement ordinaire de l’enseignement spécialisé. Ce dernier permet de rencontrer les besoins éducatifs spécifiques d’élèves présentant une déficience, une maladie ou un trouble. Il est divisé en huit types, dont les trois en bleu accueillent un nombre particulièrement élevé d’enfants issus de familles dans la précarité.

  • Type 1 : retard mental léger
  • Type 2 : retard mental modéré ou sévère
  • Type 3 : troubles du comportement
  • Type 4 : déficiences physiques
  • Type 5 : maladie ou convalescence
  • Type 6 : déficiences visuelles
  • Type 7 : déficiences auditives
  • Type 8 : troubles de l’apprentissage

Source : enseignement.be

REPÈRES

4 mots clés

On parle de relégation lorsqu’un enfant est orienté vers un certain type d’enseignement en raison de ses mauvais résultats ou de son origine socioéconomique plutôt que de ses capacités ou aspirations.
La relégation d’enfants issus de familles précarisées vers le spécialisé est souvent synonyme de :

  • Confusion entre des difficultés scolaires et une déficience ou un trouble dont le diagnostic n’est pas toujours évident à poser.
  • Manque d’information et de participation de l’enfant et de ses parents à la décision d’orientation.
  • Discrimination contraire à l’article 2 de la convention relative aux droits de l’enfant, et accentuation des inégalités sociales.
  • Non-retour puisque très peu d’enfants réintègrent l’enseignement ordinaire après être passés par l’enseignement spécialisé.

Source : Coordination des ONG pour les droits de l’enfant