Littérature jeunesse insoumise

• Psychédélique : il y a des albums qui accrochent le regard, qui intriguent au premier coup d’œil. Coucou !, le bien nommé fait partie de ceux-là. Des couleurs flashy, des formes improbables, un joyeux désordre, des phylactères tout en mouvement, des dialogues et des onomatopées à lire à voix haute à l’enfant, l’autrice-illustratrice Anne Zeum s’en est donné à cœur joie comme dans son premier album Grenouilles voraces et grasses limaces.
  Il est cette fois question d’infiniment petit et d’infiniment grand, bref de rendre l’invisible visible et vivant. On rencontre d’abord Berthe, Jean-Claude, Gilbert, des microbes, virus, bactéries qui vivent leur petite vie dans des mains d’enfant. On part ensuite de ces enfants pour foncer vers une ville, une planète, un système solaire. De zoom en dézoom, l’album offre une boucle vers l’improbable. Un voyage entre science revisitée et délire poétique.
  ► Coucou ! d’Anne Zeum (Les fourmis rouges). Dès 4 ans
• Cathartique : on a tous et toutes nos misères, grandes ou petites. Quand elles sont petites, mieux vaut en rire. C’est ce que propose Suzanne Heller en épinglant quelques situations qui peuvent empoisonner la vie des enfants (et des grandꞏes) sans en faire des drames pour autant. L’autrice procède selon un schéma ultra simple : un mot, une situation en deux lignes et la déconfiture qui s’ensuit. Un exemple : Misère, quand ta petite sœur va dans ta chambre… et qu’elle mange ta peinture et que c’est toi qui te fais gronder. Le tout sur fond rouge en page de haut, avec en page de bas, la situation croquée à l’encre de Chine, d’un trait dépouillé.
  L’album, un petit format très maniable (18x12 cm), déroule ainsi une bonne trentaine de microrécits assez touchants qui révèlent de vraies souffrances intimes. Comme adulte, on sourira (ou pas) de se remémorer quelques-unes de nos déceptions enfantines.
  ► Les petites misères de Suzanne Heller (La Joie de Lire). Tout public dès 7 ans
• Artistique : voici un beau-livre, comme on dit, dans tous les sens du terme. Ce volume luxueux de 250 pages avec dépliants part d’une proposition graphique originale d’Antonin Louchard dont chacunꞏe d’entre nous pourrait s’inspirer. Voici des années que l’auteur jeunesse glane ici et là jouets, poupées, figurines pour les peindre en gros plan. Pas un mot, la seule puissance des couleurs et de la peinture pour une plongée nostalgique ou souriante en enfance. Le tout regroupé en chapitres évocateurs : gribouillages, pouponnages, babillages, etc. Vous voilà avec une galerie d’art entre les mains. Il ne vous reste plus qu’à choisir votre jouet préféré et… à vos pinceaux !
  ► Enfantillages. Peintures de pouëts et autres amusettes, d’Antonin Louchard (Albin Michel). Tout public dès 9 ans
• Poétique : nous voici clairement dans l’univers poétique d’Anne Brouillard : ses intérieurs paisibles, ses forêts, ses odeurs pâtissières, un manège, des lutins... La Terre tourne et emporte avec elle les étangs, les rivières, le ciel et ses nuages, les saisons, le temps qui passe. Si les dessins sont connus, Anne Brouillard propose cette fois des chants de chorale et comptines avec la complicité de Bertille de Swarte, mais aussi des compositions musicales enregistrées à l’abbaye de Maumont et au Couvent des Minimes dont l’esprit des lieux habite les interprétations. À écouter en ligne ou via le CD.
  ► Ronde autour de la terre, d’Anne Brouillard et Bertille de Swarte (Esperluète). Tout public dès 6 ans

Le Petit Poucet et l’usine à saucisses replace la célèbre histoire dans un univers industriel : l’ogre devient le patron d’une usine de saucisses et la forêt se voit remplacée par une zone commerciale où se dresse un monstre de béton, symbole de l’avènement d'un super-hyper-marché. Face à cette menace, Poucet et ses frères décident de réagir. C’est alors qu’un événement mystérieux survient : leurs parents disparaissent. Pour les retrouver, les enfants se lancent dans un périple qui les conduit jusqu'à l'usine à saucisses, dirigée par le redoutable monsieur Grogra.
Sophie Azambre Le Roy, Benoît Preteseille (Savon Tranchant) et Carl Roosens (Les Hommes Boîtes, Peritelle) livrent ici une relecture à la fois originale, déjantée et musicale du célèbre conte de Charles Perrault. Le style quelque peu décalé du texte, le travail sur les textures sonores ainsi que les chansons résolument modernes et ludiques raviront autant les adultes que les plus jeunes en offrant plusieurs niveaux de lecture.
Igor Karagozian / PointCulture