Vie pratique

Un soir chez les copains, un autre au foot. Et le week-end, il est aux abonnés absents. 16 ans est l’âge des sorties. Soit. Mais est-ce une raison de nous ronger les sangs quand notre ado sort ? Rencontre avec Édith Goldbeter, docteur en psychologie, thérapeute familiale, professeur à l’ULB.
C’est sûr, l’adolescence est l’âge où l’on préfère la compagnie des amis plutôt que celle des parents. Fêtes familiales, vacances, week-ends… Question sorties Thomas, 16 ans, n’en rate pas une ! À croire que la famille ne compte pas pour lui. D’où les discussions sans fin, les conflits qui s’enveniment. À la moindre contrariété, il est prêt à tout : claquer la porte, revenir… Mais quand ?
Pendant l’année, déjà, il profite de n’importe quelle occasion pour sortir et rentrer au bercail quasiment quand il veut. Impossible de lui faire respecter l’heure du « couvre-feu ». La maison n’est tout de même pas un hôtel ! L’expression traverse régulièrement les conversations familiales suivies de silences assourdissants.
Jusqu’à ses 15 ans, Thomas respectait les règles. Il demandait l’accord parental, une voire deux semaines à l’avance. Pour son premier samedi soir, les parents lui avaient donné la permission de 23h. Le mois suivant, 23h30. Puis, minuit. Les parents étaient rassurés : ils connaissaient l’endroit de ses sorties et ses amis. Et, surtout, ils déterminaient l’heure du retour voire la permission de dormir chez un copain.
Voilà que depuis les vacances d’été passées chez un ami, l’ado prévient à la dernière minute, disparaît sans mot dire. Et il s’octroie le droit de revenir d’office à 3 heures du matin. Résultat ? Plus de sortie ! Enfin, les parents essaient de faire respecter cette sanction…
" Pour qu’un adolescent puisse accéder à une certaine autonomie, il est indispensable qu’il soit capable de se fixer lui-même des limites parce qu’il a intériorisé certains interdits "
Des limites à son besoin d'autonomie
À l'adolescence, les jeunes demandent plus d’autonomie. Ils veulent se prendre en charge et les parents doivent trouver un difficile équilibre entre confiance, peur et surveillance.
Édith Goldbeter : « Cet équilibre se fabrique déjà un peu avant l’adolescence. Il y a le degré de vigilance que les parents peuvent avoir par rapport à un ado, sans être intrusif pour autant. Et souvent l’erreur est de laisser tomber cette vigilance parce qu’on lui fait confiance, parfois un petit peu trop. Je pense qu’il faut avoir une confiance contrôlée avec les ados parce qu’ils peuvent très bien vous promettre sincèrement une sortie correcte, et puis après être entraînés par des copains ou par des opportunités. Et finalement, la promesse n’est pas tenue. Il faut donc cadrer, par exemple, pouvoir prévoir un coup de fil à une certaine heure. En tout cas, être présent même si on laisse un peu de champ libre. »
Certains parents ont du mal à user de leur autorité sur leurs enfants, car ils ont peur de ne pas être aimés.
É. G. : « C’est une génération de parents dépendante de l’amour de leurs enfants. Ces parents misent tellement sur l’affection des ados et des enfants qu’ils les mettent en position de pouvoir, par le chantage affectif par exemple. La ‘bonne’ autorité est celle qui contient l’adolescent, le protège, le rassure depuis son enfance. Pour qu’un adolescent puisse accéder à une certaine autonomie, il est indispensable qu’il soit capable de se fixer lui-même des limites parce qu’il a intériorisé certains interdits. Cette capacité à se donner des limites se révèle à l’adolescence. Or, on l’a habitué à revendiquer, à discuter, il s’en sert. Il devient donc difficile à piloter ! »

Définir les règles de vie
Mais négocier en permanence demande de l’énergie et du temps !
É. G. : « La négociation se place sur un autre plan. L’ado peut très bien dire que 22 h c’est trop tôt mais qu’il est d’accord pour 23h30. Si les parents estiment que cette heure est raisonnable, ils peuvent l’accepter. Mais alors c’est 23h30 précises ! Et il faut être vigilant sur le respect de ce cadre car si l’ado n’est pas rentré à l’heure convenue, que les parents ne regardent pas l’heure, laissent passer le temps, ne se rendent même pas compte qu’il rentre à 3 h du matin, dans ce cas, on ne lui transmet pas l’existence d’un cadre et l’obligation de le respecter. On lui apprend plutôt à ne pas tenir compte de ce que les parents disent. »
Et si l’adolescent continue à provoquer ses parents, sont-ils en droit de prendre des sanctions ?
É. G. : « Il y a nécessité de définir certaines règles de vie pour que tout ne soit pas en permanence sujet à discussion et de les réajuster régulièrement en fonction de l’âge et des besoins de l’adolescent. Quand il y a des règles bien précises, c’est à la fois plus clair pour les ados et plus facile pour les parents qui ne doivent pas chaque fois ou fermer les yeux ou inventer quelque chose de nouveau. La structure sécurise et aide tout le monde. Et des sanctions peuvent être prises, mais elles doivent être limitées dans l’espace et le temps, en dehors de la colère : supprimer une sortie, l’argent de poche ou l’utilisation de l’ordinateur pendant 48 heures par exemple. Mais priver de foot un jeune qui est passionné, c’est du sadisme ! »
Le danger, plus présent
Mais dans certaines familles, l’autorité ne va pas toujours de soi...
É. G. : « C’est vrai, et ce n’est pas très structurant pour la famille parce qu’on ne sait pas à partir de quand on va trop loin. Il ne s’agit pas seulement d’impunité, mais plutôt de non-reconnaissance de ce qui est grave par rapport à ce qui ne l’est pas. Il y a une espèce de tolérance à tout. Tel ce parent qui dit : ‘Que voulez-vous que je dise à mon ado quand il fume un joint ? Moi-même, j’y ai goûté quand j’étais ado et donc je ne peux quand même pas l’empêcher de faire ses expériences’. Seulement, quand on avait 20 ans, c’était une cigarette qui tournait dans un cercle de quinze ou vingt personnes. Aujourd’hui cela peut être cinq ou dix cigarettes par jour, si ‘douces’ soient-elles. La notion de dangerosité a changé, le risque a grandi. Je pense qu’il faut garder la même sévérité parce que les chances d’addiction sont plus grandes. »
Mais à 16 ans, l’ado n’est-il pas plus mûr, ne peut-on pas enfin lâcher du lest ?
É. G. : « J’observe que les ados sont parfois assez abandonnés à eux-mêmes. Parce qu’ils rentrent dans cette étape de la vie souvent à un moment où leurs parents peuvent être en crise dans leur vie de couple. Des parents qui sont parfois beaucoup plus mobilisés par leur propre vie que par la poursuite de la guidance, de l’éducation du jeune qui en a encore besoin à 16 ans et plus. On voit beaucoup moins de familles surprotectrices qu’avant. »
" Ce qui est intéressant pour l’ado, c’est voir que même quand il y a désaccord, il peut y avoir affection. "
EN SAVOIR +
Quand l’autorité devient plus difficile…
- Il menace de partir. Certes, il a l’âge pour commencer à s’imaginer vivre seul. C’est juste un peu trop tôt pour qu’il puisse survivre au moins financièrement. Il le sait, mais vous pouvez toujours le lui rappeler gentiment, avec humour… Cette phrase (un classique de la prose ado !) vous rappelle que, quoi qu’il arrive, vous élevez votre enfant pour qu’il puisse partir un jour vivre sa vie d’adulte. Petit pincement au cœur… mais autant y penser !
- Il fait du chantage. Épreuve courante dans laquelle il ne faut pas se laisser enfermer. Rappelez-vous : l’autorité doit rester de votre côté.
- Il joue sur le désaccord entre ses parents. À vous de vous arranger pour trouver un accord dans votre désaccord parental et définir qui a la gestion de la situation. Si c’est le père qui prend la responsabilité d’autoriser les sorties, il devient le référent de l’ado sur ce sujet. Même schéma avec la mère. Ce qui est intéressant pour l’ado, c’est voir que même quand il y a désaccord, il peut y avoir affection.
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