Santé et bien-être

À quel âge votre ado est-il apte à avoir une relation sexuelle librement ? Cette question est débattue en ce moment à la Chambre (fédéral) dans le cadre de la réforme du code pénal. Beaucoup de notions sont à définir légalement, mais surtout à réfléchir avec les ados grâce à l’Évras.
Un cadre légal, c’est bien, ça protège les ados quand ça dérape. Mais ça ne sert à rien sans prévention sur le terrain, sans répondre à leurs questions, sans partir de leur expérience. Les professionnelles contactées dans le cadre de cet article sont unanimes.
Fabienne Glowacz, d’abord. Elle est docteure en psychologie clinique, professeure à l’université de Liège et experte judiciaire. « Les avancées légales sont super intéressantes, mais c’est nécessaire de développer la prévention et les actions pour la compréhension des enjeux autour de la sexualité. Actuellement, à part le programme Évras, qui compte tout de même un nombre d’heures très limité, il n’y a rien du tout ».
L’Évras, c’est l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle. Elle est reconnue par l’Organisation mondiale de la santé et par l’Unesco. Elle est censée être obligatoire dans les écoles depuis 2012 et être enseignée de la 1re maternelle à la dernière année de secondaire en Fédération Wallonie-Bruxelles. Sauf que dans les écoles, ce n’est pas vraiment le cas.
« Une étude réalisée à Bruxelles montre que seuls 15% des élèves sont touchés au moins une fois dans leur cursus par de l’Évras. On est donc sur un tout petit ratio, explique Lola Clavreul, chargée de plaidoyer politique et d’éducation permanente à la Fédération des centres pluralistes de planning familial (FCCPF). L’Évras fait partie des missions obligatoires de l’école mais il n’y a pas d’obligation en termes de contenu ou de format. Aujourd’hui, tout est laissé à la liberté des directions d’école. Elles vont donc choisir de quelle manière elles vont gérer cette obligation. »
Il y a de ce fait des disparités énormes. « À certains endroits, il y a une affiche dans un couloir qui est là depuis dix ans et qui parle de contraception, raconte Lola Clavreul. Dans d’autres écoles, il y a la Rolls-Royce de l’Évras, avec des cellules intégrées, des personnes formées ou encore des semaines consacrées à la discussion. On voit donc qu’on n’est pas armés de la même manière ».
Le consentement au cœur de l’Évras
Mais concrètement, on y parle de quoi dans ces cours ? Avec les grands ados, exactement des mêmes questions que dans la réforme du code pénal, mais à un autre niveau, celui de l’expérience des jeunes. Et comme dans les textes qui sont discutés en ce moment, une notion centrale est expliquée de la plus tendre enfance à l’adolescence : le consentement.
Au sein de l’asbl O’Yes, Sophie Peloux coordonne ces animations avec les jeunes. « Ce que j’observe, c’est que la notion de consentement n’est pas très claire. On accompagne les étudiant·e·s dans les discussions, les réflexions pour comprendre ce qu’est le consentement. Comment ils et elles le ressentent de leur point de vue et pour qu’ils et elles puissent l’entendre de la personne en face. Si on le fait dans le supérieur, c’est assez évident que c’est aussi une notion à travailler à 14 ans et même plus jeune, dès la maternelle. Le consentement n’est pas que sexuel. Il est aussi dans le reste ».
Ne pas être obligé de faire la bise, demander à l’autre pour pouvoir jouer avec ses cartes Pokémon et, plus tard, arriver à comprendre si la personne en face de soi a envie qu’on l’embrasse ou non… Le consentement se retrouve dans toute une série de situations qui n’ont pas forcément de lien avec la sexualité. Pour que le jour où un rapport sexuel se présente, il soit consenti des deux côtés.

« Les avancées légales sont super intéressantes, mais c’est nécessaire de développer la prévention et les actions pour la compréhension des enjeux autour de la sexualité »
Mais en fait, c’est quoi un rapport sexuel ? Voilà une notion qui taraude nos interlocutrices, dont Lola Clavreul. « Il y a toujours cette norme du premier rapport sexuel qui se résume à une pénétration hétéro et qui marquerait le vrai départ de la vie sexuelle. Mais il y a plein de choses qui se passent avant. Les jeunes construisent leur vie sexuelle plus tôt : ça va passer par le fait d’embrasser quelqu’un·e, commencer à se toucher et pas nécessairement par une pénétration qui viendra peut-être (ou peut-être pas) plus tard ».
Là aussi, c’est une question posée en animation Évras avec les plus grand·e·s. « Honnêtement, tout ce qui est fellation, cunnilingus, sodomie ne sont-ils pas des rapports sexuels ?, interroge Sophie Peloux. Je parle de sodomie expressément car je sais que chez certain·e·s jeunes, on passe par l’anus pour préserver potentiellement l’hymen. La fellation et le cunnilingus, bizarrement, sont considérés comme des préliminaires dans beaucoup de discours, y compris de professionnel·le·s et d’adultes. Or ce sont des rapports sexuels. Sont-ils comptés dans les premières fois ? Considère-t-on que les lesbiennes qui n’ont pas de rapports pénétratifs avec un pénis sont vierges à vie ? C’est plutôt bizarre ».
Et c’est pourtant sur cette définition très traditionnelle que sont basées les enquêtes sur l’âge du premier rapport qui serait stable, aux environs de 18 ans selon une étude de l’UCLouvain en 2017. Des résultats qui ne veulent donc rien dire selon nos trois professionnelles qui insistent davantage sur le rythme de chaque adolescent·e.
« Entre 12 et 16 ans, il y a une très grande disparité au niveau de la maturité et du développement pubertaire, psycho-affectif et cognitif, explique Fabienne Glowacz. Prenez une photo de classe de 1re ou 2e secondaire, vous pouvez la constater au niveau du profil physique des jeunes. La temporalité est différente entre les sexes, entre les individus, en fonction des expériences qu’ils ont pu avoir antérieurement. »
C’est vers 16 ans que l’on constate une certaine « homogénéisation ». De là à y voir l’âge de la fameuse « majorité sexuelle » ? Ça dépend de chacun·e, insistent nos expertes. Il n’y a pas un âge où, du jour au lendemain, on serait prêt·e, concluent-elles.
EN PRATIQUE
Et vous, parents, quel est votre rôle ?
Pas facile de parler de sexe avec son enfant. Et pour cause. « C’est un leurre de penser qu’un parent puisse avoir une discussion franche sur la sexualité avec son ado, analyse Fabienne Glowacz. Si certains sont plus à l’aise, ça reste l’intimité de l’ado. Mais c’est aussi important que l’ado puisse se référer à ses parents, soit pour en débattre, soit pour être aiguillé vers d’autres espaces de discussion. En fait, c’est autoriser la parole, mais ne pas l’obliger parce qu’elle n’est pas possible partout ».
D’autant plus que « tous les parents ne sont pas armés ou à l’aise pour répondre aux questions de leurs enfants ou pour les devancer, continue la psychologue. Ils ont un bagage social, culturel, leur propre histoire et sexualité. L’idéal serait de créer des espaces aussi pour les parents pour répondre à leurs propres questions ».
Sophie Peloux organise ce genre d’échanges entre jeunes via l’asbl O’Yes. Elle cite plusieurs ressources qui pourraient aider le parent :
- La chaîne YouTube et les podcasts Moules-frites d’O’Yes : ce sont des capsules audio et vidéo créées par les jeunes pour les jeunes et qui parlent de la santé sexuelle.
- Les centres PMS des écoles ou les centres de planning familial.
- Le flagsystem : c’est un support pour voir si une situation est O.K. ou pas. Il est axé sur le développement de l’enfant. « Le flag system essaye d’avoir une posture commune des adultes qui accompagnent les jeunes, quel que soit leur âge, sur leur comportement sexuel de manière générale ». Il est surtout utilisé comme outil pédagogique, mais peut aider à orienter les parents qui se sentent un peu perdus ou peut être proposé quand la question se pose à l’école ou dans des activités de jeunesse.
Le Ligueur vous conseille aussi :
- La série Sex education (à partir de 16 ans ou quand l’ado commence à avoir ses premières relations) : histoire d’avoir un regard positif et varié sur la sexualité. Il existe aussi son manuel d’éducation sexuelle sur sexeducation.fr
- Des comptes Instagram qui permettent aussi d’explorer sa sexualité : orgasme_et_moi, jouissance_club, mercibeaucul_... Il en existe pas mal en fonction des sensibilités de chacun·e.
Si ces références peuvent être une partie de la discussion, elles ne remplaceront jamais un tiers professionnel. « Il ne risque pas d’emmener l’adolescent là où il a peur d’aller, explique Fabienne Glowacz. En aucune manière, je ne vais assimiler des plateformes d’information à une intervention en présentiel. Le tiers formateur ou animateur va pouvoir répondre aux questions et aux interventions de manière structurante pour le jeune ». Il ne reste plus qu’à demander à l’école de votre enfant de mettre en place une formation Évras si ce n’est pas encore le cas.
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