Santé et bien-être

L’éducation sexuelle sur la Toile

Des séries et des films pour aborder la sexualité des ados

Du porno à portée de clics, des corps « parfaits » comme référence, des manuels scolaires qui oublient l’organe féminin du plaisir et des tabous autour d’un mot qu’on ose à peine prononcer devant ses enfants : le S-E-X-E. Et pourtant, c’est tellement chouette s’il est bien pris en main. Les initiatives dédiées à l’éducation sexuelle, relationnelle et affective se multiplient sur la toile. Et c’est tant mieux. 

« Le clitoris et le pénis ont beaucoup en commun : ils sont faits à partir des mêmes tissus, avec des corps spongieux, des corps caverneux, un prépuce et un gland… Et ils sont munis des mêmes récepteurs au plaisir ! Ce sont les mêmes éléments, c’est juste qu’ils ne sont pas assemblés de la même façon ! ». Voilà une définition de notre anatomie qu’on n’a pas eu l’habitude de lire dans nos manuels scolaires. Elle est issue du manuel Sex Education, lié à la série du même nom, tous deux publiés par Netflix.
Publié fin janvier à l’occasion de la sortie de la saison 2 de la série, le manuel s’adresse aux ados de plus de 16 ans. Il est distribué gratuitement en France. Ou plutôt « était distribué », car il a rapidement été en rupture de stock, « victime de son succès », peut-on lire sur sexeducation.fr. On peut tout de même le télécharger en PDF.

les ados et les poils, une vraie discussion à avoir en tant que parent

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Se raser, s’épiler les parties intimes : pas une obligation

Ce manuel parle de sexualité, sans tabous et de manière très positive. Plaisir, consentement, différences d’anatomie, de désir, masturbation féminine comme masculine, IST, contraception partagée entre les hommes et les femmes, avortement, genre, règles, endométriose… le sexe est abordé dans tous les sens, sans jugement et parfois avec humour. Comme cette lettre écrite à la main : « Salut, c’est moi : ton anus ! Chaque fois qu’on te parle de moi, tu glousses ou tu prends l’air dégouté et franchement, j’en ai plein le cul ! LOL ». Cette partie du corps vous explique ensuite de quoi elle est constituée et comment en prendre soin en terminant par « J’ai le droit d’être aimé. Bien cordialement, The Black Hole ».
Tout au long du manuel, les auteurs rappellent à quel point il est important que les deux partenaires soient d’accord, quel que soit l’acte. « Oui + oui = oui. Oui + non = non. O.K. pour te faire plaisir ou O.K. parce que tu insistes = non ».

Des histoires d’ados et de parents

« Ce qui est merveilleux, c’est à quel point le contenu est accessible, réagit Sophie Peloux, coordinatrice du pôle pédagogie chez O’Yes (Organization for youth education and sexuality). C’est encore trop rarement le cas. Beaucoup de ressources existent, mais pas toujours en accès libre et dans toutes les langues. On retrouve généralement des propos et des illustrations qui ne sont pas adapté·e·s au langage des jeunes. On reste trop souvent dans le médical ou dans la prévention ».
Ici, la vision de la sexualité est positive. « Il n’y a aucune culpabilisation, ajoute Lola Dubrunfaut, chargée de com de la même association. Il y a un encouragement à se poser des questions et à se découvrir. À essayer de comprendre ce qui nous arrive ».
Même retour de la psychologue Julie Henriet et du sexologue André Vandercam, tous deux animateurs Évras (éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle). « On abordait déjà ces questions lors de nos animations, mais, ici, nous avons un outil de plus pour le faire, explique Julie Henriet. Le gros avantage, c’est que cette série est regardée par les ados, mais aussi par les adultes. C’est donc un support qui rassemble et qui peut être un levier à la discussion dans les familles et dans nos animations ».

À quel âge votre ado est-il apte à avoir une relation sexuelle librement ?

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Une nouvelle majorité sexuelle, une nécessaire Évras

La série met en effet en scène des ados, mais aussi leurs parents. Une mère trop intrusive, un père autoritaire, des professeur·e·s avec des problèmes de sexe, un couple de mamans en discordance sur l’éducation de leur enfant… Il n’y a donc pas que les ados qui y trouvent leur compte. « Les parents ne sont pas obligés de regarder avec leur enfant à côté d’eux, mais cela leur apprendra des choses sur le relief de la jeunesse actuelle », ajoute André Vandercam. Et peut mener à des discussions sans parler de soi de manière directe.
L’autre bonne nouvelle, c’est que la série et le manuel Sex Education ne sont pas les seules initiatives du genre. Sur la toile, des comptes Instagram se chargent aussi de notre éducation sexuelle. Jouissance Club, par exemple, propose une « cartographie du plaisir » avec des dessins pour (se) faire jouir et des phrases du style « J’aime ton sexe, mais je préfère ta grosse créativité » pour déconstruire les stéréotypes. Le compte féministe Gangduclito rattrape le temps perdu avec des représentations du clitoris qui n’a correctement été dessiné dans les manuels scolaires qu’en 2017.
Des initiatives qui se prolongent aussi en livre. Sophie Peloux propose, par exemple, Le vrai sexe de la vraie vie, de l’autrice Cy (Lapin). « C’est une nana qui a d’abord publié sur le site de MadmoiZelle. On y voit tous les corps, tous les types de sexualité, tous les types de relations amoureuses ou pas amoureuses, des personnes en situation de handicap, des personnes cisgenres, des personnes transgenres, hétérosexuelles ou homosexuelles, bisexuelles, polyamoureuses, des histoires de capotes, d’accidents, etc. ».

Contrebalancer le porno

Ces initiatives créent donc des espaces de réflexions face aux autres types de contenus à caractère sexuel que l’on retrouve sur la toile. Les jeunes sont confronté·e·s aux images pornographiques de plus en plus jeunes. Selon une étude française Ipsos de 2018, 6 jeunes sur 10 ont vu du porno avant l’âge de 15 ans, volontairement ou non, un sur cinq en regarde au moins une fois par semaine entre 14 et 24 ans et… seulement 7 % des parents pensent qu’ils le font.
Certain·e·s spécialistes s’en inquiètent comme Anne Labouret et Christophe Butstraen. Dans leur ouvrage Parlez du porno à vos enfants (Thierry Souccar), ils dressent les effets néfastes du porno quand il devient le premier éducateur de l’enfant à la sexualité : des clichés en guise d’imaginaire, des images plus violentes, plus sexistes et plus hard, un physique zéro défaut, le règne de l’ultraperformance, des femmes soumises, un univers où on ne dit jamais « non ».
Pour nos spécialistes Évras, le problème n’est pas de regarder du porno, mais plutôt de ne pas avoir d’autres références afin de répondre à leurs questionnements. « Le jeune est de toute façon face à la toile. Il peut consulter ses comptes Instagram, visiter pornhub et puis lire un article sur l’Évras et, enfin, avoir une discussion. Notre rôle est d’entendre sans jugement. Et s’il y a des interrogations ou des inquiétudes, leur donner les balises pour y répondre. On ne dit pas ce qui est bien ou mal, mais on insiste sur certains concepts comme le consentement, l’alignement avec les émotions, la définition des besoins, comment je peux les exprimer… », explique Julie Henriet. 

À lire, notre article : « Parlons vite du porno pendant que le loup n’y est pas »

Pour le plaisir

Une discussion que l’ado peut avoir avec un parent, mais pas forcément. « Si l’adolescent·e en parle de lui-même, d’elle-même à son père ou sa mère, c’est super. Gardons la porte ouverte, réagit Sophie Peloux. Mais forcer la discussion ne sert à rien, car l’ado n’a peut-être pas envie de partager cette intimité-là avec ses parents. Accompagner, c’est être à l’écoute, donner des ressources, permettre à l’ado de faire ses propres choix et faire de l’éducation aux médias. Donner les sites sympas à consulter, expliquer que la pornographie, ce n’est pas toujours intéressant et voir comment prendre de la distance par rapport à certains contenus. On ne vous dit pas de regarder du porno avec vos enfants. Mais de leur expliquer qu’ils vont tomber sur des contenus qui montrent de la sexualité filmée avec des acteurs et des actrices. Que ce n’est pas la réalité ».
Alors plutôt que d’interdire et de fermer les portes, avoir une vision positive sur la sexualité, la relier à la vie affective et relationnelle permet d’être plus à l’aise que l’on soit ado ou parent. Comme le conclut si bien le manuel de Charlotte Abramow : « Si on ne demande pas, on reste coincé·e·s entre nos idées reçues, nos peurs et nos doutes. Le sexe, ça se découvre. Plus on communique, plus on apprend, et plus on kiffe ! ».

ZOOM

Comptes sexo sur Insta

  • Orgasme_et_moi : sexualité bienveillante, libre et inclusive, éducation sexuelle et sensuelle partagée, plaisir sont les mots clés dans la description de ce compte Instagram. Charline y donne la parole aux hommes et aux femmes. De belles histoires à lire parsemées de jolies illustrations.
  • Mercibeaucul_ : des corps avec des bourrelets, des seins non symétriques, des poils qui dépassent… Delphine et Léa montrent des images de corps non retouchées et proposent de développer des sexualités conscientes et positives. 
  • Jouissance.club : Jüne propose des conseils pour (se) faire plaisir, tout simplement.
  • aggressively_trans : ne vous fiez pas au nom, c’est une petite licorne qui incarne ce compte Instagram. Le contenu est drôle et visibilise les personnes trans ou non binaires.
  • Tubandes : « C’est quoi être un homme aujourd’hui ? Libérons la parole sur nous. Vers une masculinité consciente », explique la description. Via des témoignages, ce compte déconstruit les stéréotypes d’une masculinité ultraperformante et dominante.