Vie pratique

Mère et fille : un podcast retrouvailles

Après deux post-partum plus que chamboulés, Juliette Mogenet a voulu explorer, à travers une série de podcasts, les rouages de la maternité dans notre société. Une aventure à laquelle elle a convié sa propre mère, Hélène Jeandrain, dont elle s’était éloignée. Le Ligueur les a rencontrées.

« On dit parfois qu’on comprend ses parents quand on devient soi-même parent. Moi, je n’ai pas eu ce truc-là ». Juliette, 33 ans, nous reçoit sur la terrasse de son appartement bruxellois, parsemée de jeux d’enfants. À ses côtés, Hélène, sa maman. Les mêmes cheveux bouclés encadrent le visage des deux femmes, visiblement complices. Ces dernières années, pourtant, elles s’étaient éloignées. Pour des raisons qui leur appartiennent, leur relation était devenue très difficile. Et ce n’est pas la naissance de Maurice, le premier enfant de Juliette, qui les a rapprochées. Pas immédiatement en tout cas.

Trop seule, trop longtemps

« Quand mon fils était tout petit, j’ai dû prolonger mon congé de maternité jusqu’à ce qu’il ait 7 mois, faute de place en crèche, se souvient Juliette. C’était une période joyeuse, mais assez solitaire parce que mon compagnon travaillait énormément. À la fin, j’étais donc très contente de reprendre le boulot. »
Mais trois semaines après sa reprise, la crise du covid éclatait, la crèche fermait et Juliette était confinée avec son bébé. Son compagnon travaillant à l’hôpital, elle passait ses journées à s’occuper du petit et ses soirées à télétravailler. Une période difficile, heureusement suivie d’une accalmie.
Mais à l’arrivée de sa fille Louve, un an et demi plus tard, Juliette s’est à nouveau retrouvée très seule au quotidien, avec deux jeunes enfants cette fois, et elle a fini par craquer : « J’avais des pensées suicidaires, je n’étais vraiment pas bien. J’ai fait une dépression post-partum que j’estimais liée à ma solitude et au fait que je n’étais pas identifiée comme quelqu’un qui avait besoin d’aide ».
« Je me disais que quelque chose n’était pas normal et que si on n’en parlait pas assez, c’était parce que les premières concernées n’avaient ni le temps, ni l’énergie, ni la disponibilité mentale de le faire ». L’idée lui trottait en tête depuis un moment déjà de réaliser un podcast interrogeant la construction de la maternité dans notre société. Elle s’est finalement lancée dans le projet avec sa complice Audrey Lise Mallet, installée au Québec.
« On voulait comparer les systèmes de plusieurs pays, souligner les bonnes pratiques, rendre visibles les chiffres, discuter avec des chercheuses, des autrices, des militantes qui travaillent sur ces questions. On se disait qu’il faudrait aussi des témoignages de mères de notre entourage, et réfléchir à la question de la transmission entre générations ». C’est ainsi que Juliette s’est tournée vers sa mère, avec qui elle commençait à renouer un lien.

« C’était la famille d’abord »

Contrairement à ses filles, qui avaient déjà des vies bien remplies avant d’avoir des enfants, Hélène n’avait que 23 ans quand elle est devenue maman : « Quand je compare ma vie quotidienne de l’époque avec celle de Juliette et de mes trois autres enfants, je me dis que le contexte était très différent. Nous habitions une grande maison à la campagne. Quand ils étaient petits, je n’ai jamais travaillé à temps plein. Une gardienne venait à la maison. Je travaillais le matin et quand je rentrais, je m’occupais d’eux. C’était un choix. J’ai eu des amies, une vie culturelle, mais c’était la famille d’abord ». Et d’ajouter en riant : « J’avais pourtant l’impression d’être féministe ! Je voulais m’épanouir personnellement. Mais je me rends compte aujourd’hui que j’étais moins dans la réflexion ».

« Je me disais que quelque chose n’était pas normal et que si on n’en parlait pas assez, c’était parce que les premières concernées n’avaient ni le temps, ni l’énergie, ni la disponibilité mentale de le faire »
Juliette Mogenet

« Tu dis que dans ta génération, vous étiez nombreuses à passer à temps partiel, voire à arrêter de travailler, que c’était comme ça, que c’était votre choix, enchaîne Juliette. Mais pour moi, si c’est juste ‘comme ça’ parce que c’est le rôle de la femme d’arrêter de travailler et que c’est le rôle de l’homme de faire de meilleures études, de gagner plus sa vie… en fait, ce n’est pas un choix. C’est la société qui choisit ».
Des choses ont évolué, souligne-t-elle, mais d’importantes inégalités persistent : « C’est quelque chose qui revient beaucoup chez les femmes de ma génération : on a fait des études comme les mecs, on a eu les mêmes parcours qu’eux. Et puis, quand on devient mère, on se prend dans la gueule qu’en fait, on n’est pas à égalité. Ce sont encore les femmes qui passent à temps partiel ou qui s’impliquent le plus dans le travail domestique. Les chiffres actuels sont incroyables ».

Entre intime et universel

C’est cette tendance à présenter comme une responsabilité individuelle des enjeux qui sont en réalité collectifs et politiques, dans de nombreux domaines qui touchent à la maternité (travail, santé, famille, espace public…), que Juliette et Audrey questionnent au fil des neuf épisodes de leur podcast (voir encadré).
Au cœur du projet, comme un fil rouge (ou « un fil en or », pour reprendre les mots d’Hélène), les témoignages croisés de la mère et de sa fille. Et c’est finalement à travers la réalisation du podcast, en analysant les constructions qui entourent le rôle maternel, que Juliette a véritablement compris et retrouvé sa maman. Mais elle insiste : « L’idée n’est pas juste de raconter notre petite histoire, mais de montrer comment elle s’inscrit dans des dynamiques structurelles. Je pense que notre histoire ressemble beaucoup à celles de plein d’autres mères et de filles de nos deux générations et que ce n’est pas un hasard. Ça peut s’expliquer en essayant de comprendre la société dans laquelle on vit ».

Un cadeau fait aux ondes

« C’est un merveilleux cadeau que Juliette et Audrey font… j’allais dire au monde… disons aux ondes ! », estime Hélène, qui considère que « rien n’est jamais acquis » et que les enjeux liés à la maternité doivent être requestionnés sans cesse. « Quand je vois ce que Juliette fait de la vie que je lui ai donnée, c’est aussi un cadeau qu’elle me fait. Je trouve qu’elle vit de manière passionnée, intelligente, engagée et généreuse. J’admire ce travail de chamboule-tout qu’elles ont mené, pas uniquement pour déconstruire des choses, mais pour en construire d’autres ».

EN SAVOIR +

Le podcast

Comment j’ai retrouvé ma mère est une série documentaire produite par Axelle Mag et réalisée par Juliette Mogenet et Audrey Lise Mallet, à découvrir à partir sur toutes les plateformes de podcast. Pendant plus d’un an, les deux réalisatrices ont rencontré des mères, des activistes, des expertes, des femmes qui souhaitent ne pas être mères, des travailleuses du soin, pour questionner la construction de la maternité dans notre société.
Au fil des épisodes, Juliette Mogenet raconte comment son lien avec sa mère a évolué au cours de l’enquête, explorant tour à tour différentes facettes du parcours des mères : le travail, l’argent, la transmission, la place dans l’espace public, la santé reproductive, les différentes manières de faire famille… Pour finalement évoquer des pistes de solutions « pour des maternités plus égalitaires et plus épanouies ».

Pour les hommes aussi

« J’aimerais bien que des hommes écoutent le podcast, nous a confié Juliette. Pour qu’ils comprennent, eux aussi. Tout le monde est concerné. On a tous été dans un ventre. Il n’y a presque rien de plus universel que la naissance ». Pour y arriver, Hélène a une idée : « Toutes les femmes qui écouteront le podcast devraient le faire écouter à un homme ! ». Chiche ?

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