Vie pratique

Au sein de l’association Parents désenfantés, les parents touchés par le suicide d’un enfant sont de plus en plus nombreux. Il y a quelques années encore, ils représentaient un quart des parents de l’antenne du Brabant wallon, aujourd’hui ils sont plus de la moitié. Focus sur ce fléau.
Quelques éléments de contexte d’abord. Le suicide est la première cause de décès chez les jeunes. Chez les 15-24 ans, un décès sur quatre est causé par un suicide. Depuis 2020, les appels de jeunes ont augmenté de 15% sur la ligne d’écoute du Centre de Prévention du Suicide et les accompagnements suite à une crise suicidaire représentent quatre consultations sur dix.
Au bout du fil ou en vis-à-vis, les jeunes confient une difficulté à parler de leur souffrance à leur entourage. Ils et elles craignent d’être un poids, ont peur de ne pas être pris·es au sérieux ou d’alourdir la barque familiale. Pour protéger leurs proches, ils et elles masquent et donnent le change. Le Centre de Prévention du Suicide (CPS) vient d’éditer une brochure à l’adresse des parents et proches pour faciliter le dialogue. Déborah Deseck, chargée de communication, et Nicolas Miest, psychologue spécialisé dans l’accompagnement de la crise suicidaire et du deuil après suicide au CPS, nous en parlent.
Quel est le message délivré dans la nouvelle brochure ?
Déborah Deseck : « Une souffrance qui ne s’exprime pas risque de s’accentuer et devenir insupportable. Aujourd’hui, on sensibilise les jeunes sur les maladies sexuellement transmissibles ou l’alcool, mais le suicide reste un grand tabou. Cette brochure a pour vocation d’aider les parents à amorcer un dialogue sur le suicide et combattre l’idée reçue selon laquelle parler du suicide favoriserait un passage à l’acte. C’est tout le contraire. »
En quoi consiste la souffrance suicidaire ?
Nicolas Miest : « C’est une souffrance au quotidien qui est de plus en plus difficile à supporter, le jeune a du mal à envisager l’avenir, le suicide est perçu comme une solution pour ne plus souffrir. La crise suicidaire est réversible, on peut réouvrir l’espace des possibles à condition d’identifier la source de la souffrance. Notre travail, c’est de faire la part des choses entre l’origine de la souffrance et les éléments qui sont venus se greffer dessus dans le parcours du jeune. La personne en crise n’a souvent pas conscience que l’événement déclenchant ne constitue que la goutte d’eau qui fait déborder le vase qui s’est rempli dans une temporalité plus longue. »
Peut-on parler de pulsion suicidaire ?
N. M. : « Il peut y avoir des passages à l’acte impulsifs suite à une rupture ou un échec, mais, la plupart du temps, on peut repérer des signaux. Quand on remonte le fil, on distingue l’événement déclencheur et les éléments plus anciens à l’origine de la souffrance. »
Quels sont les signes de détresse qui doivent alerter les parents ?
N. M. : « L’isolement, les changements d’humeur, le retrait d’activités, le décrochage ou le surinvestissement scolaire, etc. D’un jeune à l’autre les signes diffèrent. J’invite les parents à garder leurs sens en éveil, à observer, sentir et écouter leur jeune. D’oser poser des questions sans se montrer intrusif, de se donner aussi l’autorisation de mettre des mots sur les changements qu’ils observent pour ouvrir la porte au dialogue. »
Certaines familles comptent plusieurs cas de suicide. Y a-t-il des prédispositions génétiques ?
N. M. : « Pas en tant que tel, mais il peut y avoir une composante génétique dans certaines maladies mentales, comme par exemple dans les troubles bipolaires. Et nous savons que la maladie mentale constitue un facteur de risque. Dans notre société, il y a deux grands interdits symboliques : l’inceste et le meurtre. Le suicide, étymologiquement, c’est le meurtre de soi. Si, dans une famille, il y a transgression de cette limite symbolique, ça rend la frontière avec l’interdit plus poreuse. Le fait que quelqu’un de la famille se soit autorisé cette ‘option’ là peut rendre cette piste plus envisageable pour d’autres membres de la famille. »
Un dernier message à livrer à nos lecteurs ?
N. M : « Le suicide fait voler le sens de la vie en éclats, l’accompagnement spécialisé permet de reprendre pied petit à petit dans son existence, d’apprendre à vivre avec. Dans vivre avec, il y a le verbe vivre, ce n’est pas survivre, c’est vivre avec. À l’image d’une forêt calcinée après un incendie, on se dit qu’il n’y a plus de vie possible, que tout est brûlé mais, petit à petit, des fougères et des arbrisseaux réapparaissent. La vie reprend doucement. »
EN PRATIQUE
Les ressources du Centre de Prévention du Suicide
- La brochure Prévention du suicide : ressources pour les parents et proches est disponible sur preventionsuicide.be
- La ligne d’écoute 0800/32 123, unique ligne de prévention du suicide anonyme, gratuite, disponible 24h/24.
- Le podcast Le deuil après suicide est centré sur le deuil après suicide et propose, notamment, des témoignages de parents et l’éclairage d’un expert sur ce sujet encore trop tabou.
- Le CPS propose aussi des consultations psychologiques à destination des personnes en crise suicidaire ou endeuillées par suicide et des interventions auprès de collectivités après un passage à l’acte suicidaire.
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