Crèche et école

Passer le harcèlement scolaire à la machine…

Le phénomène de harcèlement est cyclique et son pic a lieu entre février et avril. Que peuvent les écoles pour lutter contre ?

Le phénomène de harcèlement est cyclique et son pic a lieu entre février et avril. Que peuvent les écoles pour lutter contre ? Exemples avec deux établissements volontaires.

À Sivry, tout a commencé il y a huit ans. L’équipe éducative à la recherche de piste pour améliorer le climat scolaire et prévenir le harcèlement s’engage dans un projet pilote aux côtés de l’AMO Oxyjeune et de Bruno Humbeeck et son équipe.

► Baliser la cour de récréation

Parce que la majorité des conflits naissent en cours de récréation.  Parce que le terrain de foot prend beaucoup (trop) de place, que les enfants qui aspirent au calme ne s’y retrouvent pas et surtout parce qu’elle est le théâtre de nombreux rapports de force, la régulation de la cour de récréation est le premier chantier mis en place par l’équipe pédagogique de l’école de Sivry. Au programme : réorganisation de l’espace, divisé en trois zones.
La zone « ballons » perd un peu de terrain au profit de deux nouveaux espaces : la zone « courses » et la zone « calme ». En contrepartie, l’équipe soigne l’attractivité avec un marquage au sol, de nouveaux goals de mini-foot ainsi qu’un panier de basket.
Dans la zone « course », l’école mobilise un budget pour équiper l’espace de bacs à sable, d’un tableau à colorier, de tables de ping-pong et de billard. Des petits vélos viennent également garnir l’espace.

UN PROJET POUR LES ÉLÈVES, AVEC LES ÉLÈVES

« Ce sont souvent des demandes qui émanent du conseil école, explique Olivier Hublet, le directeur de l’école. Chaque année, deux élèves sont élus pour représenter sa classe et je rencontre les délégués tous les mois. Ils me font remonter des informations et suggèrent aussi des améliorations pour la cour, l’idée du mur d’escalade vient d’eux par exemple. En fonction de nos finances, je vois ce qui est possible. »
Contre toute attente, la zone « calme » a beaucoup de succès. Une bibliothèque, des bancs et boîtes de jeux sont venus agrémenter cet espace. « On a toujours l’impression que tous les enfants se ruent et courent dans les cours de récréation, mais c’est faux, constate Véronique Couture, directrice d’Oxyjeune. Pour beaucoup d’enfants, la récré n’est pas un lieu pour se défouler, mais pour se ressourcer ».
Disposer d’espaces délimités n’est pas suffisant. « Ce qui est primordial, c’est que ce projet soit porté par l’ensemble de l’équipe éducative, car les enfants testent la cohérence et la limite des espaces » poursuit Véronique Couture.
« Avant, il n’y avait rien de pire que de surveiller la cour. Il a fallu du temps pour obtenir l’adhésion de l’équipe. La régulation des espaces fonctionne bien, mais demande encore de l’énergie pour faire évoluer le projet. Dernièrement, on s’est rendu compte que les enfants de maternelles étaient trop éparpillés dans la cour, nous avons reconfiguré l’espace pour leur réserver un espace rien qu’à eux », explique Olivier Hublet.

► Réguler les espaces de parole

Les espaces de parole régulés constituent le deuxième élément du dispositif proposé par Bruno Humbeeck. Cinq règles les encadrent. Toute émotion peut se dire et ne peut être contredite. C’est l’adulte qui donne la parole et garantit à l’enfant qu’il pourra parler jusqu’au bout sans être interrompu. On ne nomme pas, on ne désigne pas et on n’accuse pas. L’enseignant fait appel aux ressources du groupe pour trouver une solution. L’enseignant·e assure la permanence et la récurrence de l’espace de parole.
En plus d’être régulés, les espaces doivent aussi être réguliers. Idéalement, à raison d’une fois par semaine. Christine Tyssens, directrice de l’Athénée de Chênée, témoigne de son expérience. « Ce n’est pas simple, j’ai essuyé pas mal de contre-arguments de professeur·e·s qui craignaient que ça ne prenne trop de temps ou de devoir jouer les psys ».
Heureusement, la directrice peut aussi compter sur une poignée de profs enthousiastes pour faire tache d’huile. « Ce qui a été compliqué, c’est d’établir un relevé des profs pour assurer que chaque classe dispose d’un cercle de parole. Au début, j’ai un peu forcé la main via une note de service pour demander aux titulaires de prendre cela en charge ».
Les groupes de parole sont instaurés depuis six ans à l’Athénée de Chênée et, même si ce n’est pas un long fleuve tranquille aux dires de la directrice, celle-ci se félicite de les avoir mis en place. « Chaque année, je dois remotiver l’équipe. Pour m’assurer de la mise en place effective, je demande les PV des cercles de parole. J’essaye de ne pas être trop coercitive. Ce qui me fait tenir bon, c’est l’impact positif constaté sur le climat de classe. Certain·e·s enseignant·e·s réticent·e·s au départ ont changé leur fusil d’épaule et découvrent leurs élèves sous un autre jour. Ils et elles observent aussi plus d’empathie et de citoyenneté au sein de l’école en général ».

TOUTE L'ÉCOLE CONCERNÉE

Si les groupes de parole sont systématisés au sein de l’école, leur fréquence est variable en fonction des classes avec un minimum d’une réunion mensuelle. À l’initiative de quelques enseignant·e·s, l’école s’est aussi dotée d’une ligne d’écoute pour permettre de libérer la parole de celles et ceux qui seraient gêné·e·s par la dimension groupe des espaces de parole.
Depuis dix ans qu’elle accompagne les écoles dans la mise en place des espaces de parole, Véronique Couture identifie trois conditions essentielles à leur bon fonctionnement. « Ce qui est important, c’est que ces espaces se focalisent sur ce qui se passe à l’école et ne dérivent pas vers des débats en tout genre ».
Il faut aussi que l’enfant sache qu’il peut compter sur cet espace et qu’il y ait un créneau dédié et fixe, par exemple une heure chaque vendredi après-midi pour bien terminer la semaine. Dernière condition, les espaces de parole doivent aussi permettre que la parole circule au sein de l’école. « Si un élève se plaint d’être malmené par des plus grands ou qu’une classe ne respecte pas le système de tournante, l’enseignant·e doit pouvoir le répercuter au collègue concerné ».

► Sanctionner avec le conseil de discipline

La cour de récréation comme les espaces de parole sont des moyens de prévenir le harcèlement en créant un climat propice à l’épanouissement des élèves. Mais ils ne permettent pas de l’éradiquer. En 2014, le harcèlement touche un élève sur trois selon une enquête de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
À l’école communale de Sivry, Basile* en a fait les frais. Le petit garçon est en 2e primaire lorsqu’il subit des moqueries sur sa petite taille de la part de Léo*, qui est dans sa classe. Les deux garçons se retrouvent aussi au football. Les parents de Basile ne se doutent de rien et pensent même que Léo est un bon copain. C’est au retour de classe verte que Basile craque. « Il était prostré derrière le canapé du salon et ne voulait pas parler. À force de lui poser des questions, il a fini par dire que Léo s’en prenait à lui depuis des mois dès que les adultes avaient le dos tourné ».
La maman en parle à l’institutrice qui se sent coupable de n’avoir rien vu. Alertés par les cauchemars de leur enfant, les parents de Basile décident aussi de l’emmener consulter une psychologue. « C’est elle qui a utilisé le mot harcèlement pour décrire ce que vivait Basile. Elle nous a dit qu’il fallait immédiatement en parler à la direction pour que des mesures soient prises car il montrait des signes de dépression ».
Dans un premier temps, elle ressent un malaise au sein de l’équipe, comme si elle ne savait pas trop bien quoi faire. C’était au tout début du projet de lutte contre le harcèlement. Heureusement, l’école peut compter sur le soutien de l’AMO et de l’équipe de Bruno Humbeeck. Le professionnel rencontre successivement les deux enfants. La direction convoque également les parents pour discuter du problème. Mais les parents de Léo sont dans le déni et les moqueries persistent.

DES RÈGLES CONNUES, DES SANCTIONS APPLIQUÉES

C’est à ce moment qu’intervient le troisième élément du dispositif : le conseil de discipline. Composé de la direction, d’un·e représentant·e de l’équipe maternelle et d’un·e représentant·e de l’équipe primaire, il est mobilisé lorsque les règles de l’école ne sont pas respectées. Cela implique que l’école soit au clair avec son règlement d’ordre intérieur et en informe les élèves. L’école de Sivry a d’ailleurs créé des affiches formulées en « Je » pour faciliter la réappropriation des règles.
Léo, qui poursuit son harcèlement pernicieux, est finalement convoqué par le conseil de discipline. « Il était invité à s’expliquer et nous lui avons présenté la sanction à laquelle il s’exposait s’il continuait ». Les sanctions vont crescendo depuis le texte à méditer jusqu’à l’exclusion, en passant par la privation de récréation.
En réaction, les parents menacent de retirer Léo de l’école. Mais l’équipe éducative ne flanche pas : « Nous sommes restés fermes sur notre ligne de conduite, explique Olivier Hublet. C’était une manière pour nous d’associer le geste à la parole par rapport aux règles édictées à l’école. Le conseil de discipline est un couperet pour montrer que ce ne sont pas des paroles en l’air. Que si les règles ne sont pas respectées, il y a sanction ».

* Prénoms modifiés