Vie pratique

Petit·es citoyen·nes, grands impacts ?

En Belgique, l’opinion des graines de citoyen·nes peut être recueillie via un Conseil communal des enfants. Une initiative qui mériterait plus de moyens.

L’article 12 de la Convention internationale relative aux Droits de l’enfant (CIDE) garantit à l’enfant, capable de discernement, le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant. En 1989, la Belgique marquait son adhésion en ratifiant la convention.
À la question pertinente du « Comment recueille-t-on l’opinion des enfants ? », une des solutions proposées a été la mise en place de structures de participation à la vie locale par la tenue de projets citoyens par et pour les enfants : les Conseils communaux des enfants (CCE). Le principe : chaque enfant de 5e et 6e primaire domicilié dans la commune peut déposer sa candidature. Une élection peut s’organiser à l’école, sur base volontaire. Durant leur mandat de deux ans, les élu·es se réunissent en moyenne une fois par mois, en-dehors des heures scolaires, afin d’établir et mener à bien un projet d’intérêt collectif.

Portée pédagogique

Quand on demande à Évelyne Waonry, directrice du Carrefour régional et communautaire de citoyenneté et de démocratie (CReCCiDe), en quoi l’existence des CCE est importante, la réponse est foisonnante. « J’ai plus de 50 ans. Quand j’étais petite, on ne nous demandait pas notre avis avant d’être adulte. Ici, l’idée est de porter sa voix (ndlr : celle de l’enfant) et de se mettre en action. De sortir du nombrilisme ambiant et de l’entre soi, de développer les idées d’inclusion, de solidarité, de s’interroger sur sa place dans l’espace public et celles des autres, de créer du lien, du social, de faire des choses ensemble et de vivre sa communauté (l’école, le quartier, le village). Comprendre qu’une commune, ce sont plusieurs villages, que tous les enfants puissent s’y retrouver, c’est une démarche collective et d’engagement : ‘Je peux ne pas être d’accord et critiquer, mais je dois alors proposer des solutions et participer à leur mise en œuvre’. Dans cette logique-là, cela rend les enfants plus autonomes ».
L’objectif des CCE n’est donc pas uniquement de récolter la voix des enfants, il a également une portée pédagogique. Cela permet aux plus jeunes de comprendre que ce n’est pas parce qu’ils donnent leur avis qu’il sera nécessairement suivi : « Participer n’est pas décider, souligne la directrice, même les adultes, parfois, ne comprennent pas cette notion ».

Charte éthique

Si Waremme fut la première commune à se lancer dans l’expérience, aujourd’hui, sur les 262 communes wallonnes, plus d’une centaine ont sauté le pas. Alors que sur les 19 communes Bruxelloises, seule celle d’Ixelles semble s’être investie. En cause, notamment, la mobilité. « En milieu rural, il y a le car communal qui passe chercher les enfants après l’école. En ville, ce n’est pas envisageable, explique Évelyne Waonry. Il faut donc compter sur les parents, ce n’est pas toujours évident ».
Autre point d'attention, ne pas avoir que des têtes de classe au conseil des enfants. Pour veiller à l'inclusion, les communes qui se lancent dans le processus s’engagent à respecter la charte éthique du CReCCiDe : « La première, c’est qu’un enfant est un enfant, rappelle Evelyne Waonry, peu importe l’origine de ses parents, s’il est porteur d’un handicap ou primo-arrivant. Le second point porte sur l’encadrement professionnel, afin que ce ne soit pas un élu qui gère le CCE, mais une personne formée aux techniques d’animation qui va aller chercher la parole des enfants. Et enfin, troisième point, c’est qu’il n’y ait pas de récupération politique. Le projet porté doit être choisi par et pour les enfants. Ce qui n’empêche évidemment pas les suggestions ».
À quoi ressemblent ces projets ? Ils sont divers et variés : de l’agencement de bacs potager aux abords d’une maison de repos, en passant par la récolte de vivres périssables jusqu’à la création d’un véritable RAVeL.

Rapporter l’invisible

Contrairement à la vision chaotique qu’ont les scénaristes imaginant un monde régi par les enfants (par exemple, Sa Majesté des Mouches, Les Enfants de Timpelbach, Les Révoltés de l’An 2000, Le Village des Damnés…), il semblerait à l’inverse que les plus jeunes possèdent deux qualités particulièrement bénéfiques : l’inventivité et l’enthousiasme.
« Comme ils ont une expérience de vie limitée, ils n’ont pas d’a priori, mais une volonté d’expériences humaines où tout est bon à prendre. Les enfants ont cette dynamique où tout est réjouissant et enthousiasmant, assure Martin Van Audenrode, attaché au Service public de Wallonie Intérieur, co-auteur du guide méthodologique des conseils consultatifs communaux. En comparaison, les demandes des conseils communaux des aînés sont plus affirmées, plus prégnantes et l’attente envers les élus plus forte. »
De plus, la plupart des enfants ayant pris part à ces CCE acquièrent de nouvelles compétences. « On voit que ça laisse des traces. Pas pour tous, on n’est pas utopistes, sourit Évelyne Waonry, mais généralement on voit le changement en deux ans. Certains jeunes sont métamorphosés : alors qu’on ne les entendait pas, ils prennent leur place et la parole en public ».
Ces CCE sont un premier pas. Mais il ne suffit pas. D’abord parce que toutes les communes ne participent pas. Ensuite parce que d’autres n’attribuent pas d’enveloppe de fonctionnement, ce qui alourdit la tâche de l’animateur. Et, enfin, parce que certains sujets rapportés par les enfants débordent du cadre et méritent une attention particulière. « Dans certaines communes, nous avons été très interpellés. Les enfants ont abordé des problèmes liés à la pauvreté et aux violences intrafamiliales, relate la directrice de l’asbl. Or, ni les professeurs, ni les élu·es ne se rendaient compte de ce que vivaient certain·es élèves. Nous avons remarqué que la vision de l’adulte et de l’enfant sont totalement différentes ». Les enfants n’osaient pas parler aux adultes, par peur d’être jugés ou punis, et les services d’aides sont fermés en dehors des heures de bureau… soit après les heures de cours.
Ce genre de retours démontre à quel point il est essentiel de recueillir la parole de nos plus jeunes. Car les sujets qui les concernent sont bien plus larges qu’on ne le soupçonne, et leur manière de voir le monde probablement déroutante. Considérons nos enfants comme des acteurs à part entière, et pas uniquement de demain.

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