Vie pratique

Pour sortir du bourbier, la boîte à outils partagée

Frais inégalement répartis, rapt parental, perte de logement, violence intrafamiliale, rupture de lien avec un enfant... En quelques mots, les maux sont plantés. Pour chaque situation, nous dégageons une question.

Au vu de la complexité et de la particularité de chaque situation, il était nécessaire d’aller chercher de l’expertise pour répondre aux questions. Nous l’avons trouvée auprès de Jennifer Sevrin, chargée d’études à la Ligue des familles, de Caroline Mommer, avocate en droit de la famille, et de Clémence Garcia, juriste à la Maison des parents solos.

► Claire, maman de trois jeunes de 20, 22 et 24 ans 

Le jugement de Claire prévoit que chaque parent intervient dans les frais pour moitié. L’écart de revenus est pourtant assez important, mais, par fierté, elle accepte. Il y a deux ans, Claire perd un de ses mi-temps. Sa situation financière en prend un coup alors qu’elle doit faire face à des frais de plus en plus élevés, ses trois enfants étant aux études supérieures et en kot.

Comment revoir un jugement sans repasser par des avocat·es pour limiter les frais ?

  • Clémence Garcia : « Tout jugement peut être revu dès lors qu’il y a des éléments nouveaux dans le dossier. Un changement professionnel peut être un motif de demande de révision d’un accord. »
  • Jennifer Sevrin : « En tant qu’employée à mi-temps, il est probable que Claire rentre dans les conditions pour bénéficier de l’aide juridique de deuxième ligne, anciennement appelée pro deo (voir encadré), qui est partiellement ou entièrement gratuite. »

Autre piste : la chambre des règlements amiables. Cette option permet d’éviter des procédures longues et coûteuses. Le juge accompagne les parties, en présence d’avocat·es ou non, dans la recherche d’un accord. Cette chambre peut être saisie par les parties elles-mêmes. Si ces dernières parviennent à un accord, il sera intégré dans le jugement. Dans le cas contraire, le juge peut renvoyer le dossier dans une chambre contentieuse du tribunal de la famille qui tranchera le conflit dans un nouveau jugement.
La médiation est une autre alternative qui permet de limiter les frais, à condition que les deux parties soient d’accord pour entreprendre cette démarche qui se fait uniquement sur base volontaire.

► Henri, papa d’un enfant de 6 ans

La compagne d’Henri quitte le domicile avec leur fille. Un jugement fixe un droit de garde à Henri que son ex-compagne ne respecte pas. Elle quitte ensuite le territoire belge pour s’installer en Allemagne avec la petite.

Quels sont les recours qu’Henri peut activer pour faire respecter son droit de garde sachant que l’enfant ne vit plus en Belgique ?

  • Jennifer Sevrin : « Première démarche à entreprendre : porter plainte à la police pour chaque non-représentation d’enfant. »

Au niveau juridique, la Convention de La Haye de 1980, signée par 103 pays, détaille les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Si le pays dans lequel a fui l’autre parent a signé la Convention, Henri peut introduire un recours pour rapatriement auprès de l’autorité centrale belge qui va se mettre en contact avec son pendant de l’autre pays. »
L’Allemagne est signataire de la Convention. Henri peut déclarer le rapt auprès de l’autorité centrale belge et lui donner procuration pour qu’elle introduise une demande de rapatriement de l’enfant auprès de l’autorité centrale allemande.
Pour que la Convention de La Haye s’applique, plusieurs conditions supplémentaires sont requises :

    ► L’enfant doit avoir moins de 16 ans.
    ► Avant le déplacement, l’enfant avait sa résidence habituelle en Belgique.
    ► Avant le déplacement, le parent qui demande le rapatriement disposait et exerçait effectivement l’autorité parentale sur l’enfant.
    ► Aucun accord n’a été donné quant au déplacement de la résidence de l’enfant.

► Stéphanie, maman de trois enfants de 7, 12 et 14 ans

Le mari de Stéphanie réagit violemment lorsqu’elle lui annonce qu’elle souhaite une séparation. Craignant que les choses ne s’enveniment, elle embarque quelques affaires et part se réfugier chez une amie le temps que les choses se calment.

Étant celle qui a quitté le domicile conjugal, ai-je le droit d’occuper la maison sachant que nous sommes mariés ?

  • Caroline Mommer : « Une requête peut être introduite en urgence au tribunal pour bénéficier de la résidence et que l’autre partie doive la quitter. La partie demandeuse peut invoquer un revenu moindre pour justifier la demande.
    Pour les victimes de violence, il existe une disposition spécifique : la loi prévoit que le domicile familial leur revient automatiquement. Malheureusement, elle ne bénéficie qu’aux personnes mariées ou en cohabitation légale. Rien n’est prévu pour les personnes en concubinage parce que leur relation de couple n’est pas officialisée. Pour bien faire, la partie qui demande doit pouvoir prouver qu’elle est victime de violence via une attestation de lésion ou un procès-verbal de police, par exemple. La requête prend une semaine environ.
    Dans les cas urgents, cette demande peut être introduite par citation. Si on invoque l’urgence, le juge doit remettre un jugement dans les 24 à 48 heures. La citation coûte plus cher que la requête car elle fait appel aux services d’un huissier, ce qui revient à environ 250-300€. Pour les personnes qui rentrent dans les conditions de l’aide juridique, il est possible de demander l’assistance judiciaire pour que les frais d’huissier soient payés par l’État. »

En cas de séparation violente, la médiation est-elle envisageable ?

  • Jennifer Sevrin : « La médiation est déconseillée dans les cas de violence conjugale, peu importe qu’elle soit physique, morale, psychologique ou économique. C’est même repris dans la Convention d’Istanbul qui lutte contre toute forme de violence faite aux femmes. Dans des relations où le rapport de force est déséquilibré, où il y a emprise, l’autre parti n’osera pas faire valoir ses droits. »  

► Anaëlle, maman de trois enfants de 7, 9 et 17 ans

Anaëlle ne voit plus son aîné et n’a plus aucun contact direct avec lui depuis un an et demi, le jugement ayant octroyé la garde exclusive à son ex-mari. Les seules nouvelles qu’elle reçoit lui viennent des deux plus jeunes enfants qui vivent en garde alternée.

Comment puis-je restaurer le lien détruit par ma séparation avec mon aîné ?

  • Jennifer Sevrin : « Une requête auprès du juge peut être demandée pour revoir le jugement si Anaëlle peut présenter des éléments nouveaux au juge. Le fait qu’elle n’ait plus aucun contact avec l’enfant depuis le précédent jugement est un argument qui peut être invoqué si ce n’est pas prévu comme tel dans le jugement. Elle pourrait, dans ce cas, réclamer une enquête psychosociale pour creuser pourquoi il n’y a aucun contact et demander que l’enfant soit auditionné par le juge. Elle peut aussi réclamer un droit de visite dans un espace-rencontre en présence ou non d’un·e professionnel·le. »
  • Clémence Garcia : « Il faudrait savoir ce qui a été acté par le jugement : est-ce qu’il confie un hébergement exclusif mais que l’autorité parentale reste conjointe ou pas ? Si le jugement prévoit une rupture de contact, il faut savoir ce qui a motivé ce choix pour avancer un argument qui puisse le révoquer. Ce type de décision est assez rare et se prend lorsqu’on pense que ça peut être dans l’intérêt de l’enfant. Il est toujours possible d’introduire une demande au tribunal à condition d’être en mesure d’amener un élément nouveau par rapport à la situation actée. »

EN SAVOIR +

L’aide juridique de deuxième ligne (pro deo), plus accessible qu’on le croit

Les seuils de revenus pour bénéficier de l’aide juridique de deuxième ligne (anciennement appelée pro deo) ont été revus à la hausse en septembre 2023 dans l’objectif de rendre l’accès à un·e avocat·e gratuit ou partiellement gratuit plus large, même pour des personnes qui disposent d’un revenu.
L’accès est totalement gratuit si les revenus sont inférieurs à 1 817€ et partiellement gratuit s’ils se situent entre 1 817 et 2 107€ (net/mensuel). À noter que les parents peuvent déduire 334,73€ par enfant et par cohabitant.
Autre facilitateur, le parent peut s’adresser en direct à un·e avocat·e qui travaille en aide juridique sans passer par un bureau de permanence. « L’avantage de l’aide juridique est que le parent ne doit plus rien débourser s’il en bénéficie totalement. Dans l’autre cas (partiel), le forfait varie entre 25 et 125€ pour toute la procédure, peu importe le nombre d’audiences et de consultations », complète Jennifer Sevrin, chargée d’études à la Ligue des familles.

Source : Droits quotidiens

BONUS WEB

Le point de contact fédéral « Enlèvement international d’enfants »

Depuis 2005, il existe un point de contact fédéral « Enlèvement international d’enfants » au sein du SPF Justice qui a pour missions de fournir les informations relatives aux enlèvements internationaux et droits de visites transfrontalières, d’orienter les personnes concernées vers les institutions compétentes et de traiter les dossiers relatifs aux enlèvements internationaux. Ce point de contact fédéral est joignable 24h sur 24 tous les jours. En 2022, la Belgique a ouvert et traité 153 nouveaux dossiers, dont 74% en qualité d’état demandeur.
Les coordonnées du point de contact fédéral sont : 02/542 67 00 – rapt-parental@just.fgov.be
S’il n’existe pas de réglementation internationale en vigueur, un contact peut être pris avec le SPF Affaires étrangères (Rue des Petits Carmes 15, 1000 Bruxelles (02/501 81 11 – C1mail@diplobel.fed.be).

LA QUESTION

Mon mari a-t-il le droit de ne pas être joignable ?

Mon mari a-t-il le droit de ne pas être joignable ? Comment est-ce qu’on peut trouver un terrain d’entente pour discuter des enfants sachant qu’il ne veut plus entretenir aucun contact avec moi ?

Clémence Garcia : « Couper toute communication n’est pas autorisé. Le parent qui n’a pas la garde de l’enfant doit savoir où se trouve son enfant et pouvoir joindre l’autre parent en cas d’urgence. En cas de conflit parental, une partie peut demander à ce qu’il y ait une expertise psychosociale qui soit mandatée ou demander une guidance parentale pour retravailler la co-parentalité. Le juge ne peut malheureusement pas contraindre l’autre partie, cette démarche doit se faire sur base volontaire.Le Tribunal considère que les questions éducationnelles relèvent des parents. Le juge peut être saisi sur des questions spécifiques comme le choix d’une école ou une question de santé. Pour le reste, c’est aux parents qui partagent l’autorité parentale d’en décider.
Quand un parent est réfractaire à tout et démissionnaire par rapport à toutes les décisions qui concernent l’enfant, il est possible de réclamer l’autorité parentale exclusive, mais ce n’est jamais souhaitable en première intention. C’est une demande à envisager dans le cas où le parent sent que l’enfant est pris à partie et qu’il endure des comportements nocifs de la part de l’autre parent.
À la Maison des parents solos, les questions de co-parentalité sont récurrentes : comment se protéger de l’autre parent ? Comment continuer à être parent sans l’autre ? Comment parler aux enfants de l’autre parent ? »

À LIRE AUSSI

Ils n’y croient plus, c’est foutu ?

Vie pratique

Ils n’y croient plus, c’est foutu ?

Terrain miné, enfants (sur)exposés

Vie pratique

Terrain miné, enfants (sur)exposés

Séparé­·e, oui, mais pas seul·e

Vie pratique

Séparé­·e, oui, mais pas seul·e

Les infos collectées sont anonymes. Autoriser les cookies nous permet de vous offrir la meilleure expérience sur notre site. Merci.
Cookies