Crèche et école

Quand ça se passe dehors : en immersion au jardin

Et si le temps d’une matinée, nous nous transformions en fourmis pour nous immerger dans le jardin d’une crèche et d’un lieu de rencontre enfants-parents ? Pour épier les effets du dehors sur les grand·es et petit·es. Reportage en terrain chaumontois et au cœur de la Cité ardente.

Jardin, un mot qui évoque bien des choses. Pour les trois crèches communales de Chaumont-Gistoux, il recouvre une même réalité. Celle d’un bout de terre investi chaque jour par la septantaine d’enfants qui le fréquentent. En ce jeudi d’été, une joyeuse bande est affairée aux quatre coins du jardin. À peine la barrière franchie, un premier duo tout à son bonheur d’enfoncer leurs doigts dans la terre et de les porter à leur bouche. Derrière, on devine le sommet du crâne de son comparse en pleine ascension du bac à potager pour le rejoindre.
Cette première scène est à l’image de la colonie, bourdonnante et foisonnante. Ici, un qui trottine. Là, un qui zigzague sur une draisienne. Quelques-uns s’émerveillent du tracé d’un avion dans le ciel quand d’autres petits cuistots sont en plein préparatifs d’une soupe d’herbe. Dans cette ruche, il y a aussi Hervé et Léa, qui grimpent une petite butte pour glisser sur le toboggan.
L’attention de la ruche est subitement accaparée par un bruit. Les enfants s’agglutinent au grillage pour observer de plus près l’énorme cylindrée qui s’approche. « Tracteur » entonnent les plus grand·es, les autres pointant la source sonore. Les cinq sens en éveil, les enfants jouent et explorent.

« Ça, c’est l’effet jardin »

Si l’activité foisonne, le jardin, lui, est plutôt silencieux. Point de dispute ou de cris. Comment expliquer une telle harmonie ? « Dehors, les enfants ne s’ennuient jamais. Il y a toujours quelque chose à faire ou à ne pas faire. L’espace est plus vaste, l’atmosphère plus légère. On a beaucoup moins de conflits », observe Anne Ternest, directrice des crèches. C’est vrai. On a beau tendre l’oreille, pas de mise en garde lâchée ou de restriction à l’horizon. « La règle, c’est le moins d’interdit possible ».
Pourtant, les puéricultrices veillent. « Les bancs ont été placés de manière à ce que nous puissions voir tout le monde et être vues de tous. À l’image des phares, nous ‘éclairons’ une zone de notre présence pour que les enfants puissent y jouer en toute sécurité et sereinement », explique Valentine, puéricultrice référente du groupe des grand·es.
« Les premières fois où je suis venue au jardin, certaines puéricultrices étaient mal à l’aise et craignaient le regard extérieur du fait qu’elles étaient installées sur les bancs sans ‘rien faire’ d’autre qu’observer les enfants. C’est positif, ça veut dire qu’ils sont autonomes et c’est ce que vise notre projet », explique Anne Ternest.
Depuis qu’elle pratique le dehors, Valentine sent les enfants plus épanouis. L’extérieur leur offre un terrain de jeu idéal, propice au jeu libre et à l’exploration. Ils sont aussi plus actifs sur le plan moteur. Ce qui explique la différence d’ambiance entre l’intérieur et l’extérieur. « Tous les matins, on avait l’habitude d’accueillir les enfants dans la crèche jusqu’à 9h30, progressivement la tension montait. Dès qu’on sortait, la tension se libérait instantanément. Ça, c’est l’effet jardin ».

Autrement à toutes heures

C’est déjà l’heure de passer à table. Les plus jeunes regagnent les sections à l’intérieur, mais les six grands prennent leur repas dehors sur deux petites tables en bois. Valentine dispose le plat au centre et invite les enfants à se servir. Tous s’emparent de la cuillère avec une dextérité surprenante pour leur âge. Un autre avantage de cette autonomie de mouvement, selon Valentine.
Au moment de regagner la crèche, le ciel gronde et des gouttes tombent. Les conditions météo ne découragent pas les enfants. Une petite file s’allonge devant la porte fenêtre pour la sieste dehors. Mais la pluie redouble, impossible d’installer tous les lits sous la partie couverte de la terrasse. Dommage, les enfants s’endorment plus facilement et plus longtemps dehors que dedans. Seuls quatre d’entre eux pourront en profiter. Il faut prioriser. Parmi les chanceux, Hervé. Allergique aux poussières et acariens, il ne doit plus suivre de traitement depuis qu’il fait ses siestes dehors.
En attendant, la tension des espaces fermés refait surface. Tom et Zéphyr se disputent un magazine. « C’est à moi », proteste Zéphyr alors que Tom déchire les pages de plus belle. La directrice nous l’avait dit, qui dit dedans dit plus de conflits.

Nous voici à présent en plein centre-ville d’Angleur. « La petite bulle d’air », c’est le nom donné au lieu de rencontre enfants-parents de la rue des Écoles. Depuis l’an dernier, la cour bétonnée de l’ONE a fait place à un jardin communautaire. Sous l’impulsion de Caroline Dallons, cheville ouvrière du projet, des plants de tomates ont germé, une prairie sauvage a fleuri. Au centre du jardin, un tipi en bois tressé fait office de tuteur aux plants de haricots. À sa droite, un cerisier sert de parasol géant à une grande couverture étendue sur l’herbe. Il ne faudrait pas que la rosée du matin décourage les petons, petits et grands, à fouler du vert.
Comme chaque mardi matin, Amandine, Élodie, Belinda, Marie et Alicja sont là. Marie fréquente le lieu à double titre, en tant que maman et future doula. Ce qui la motive à venir ? « Le dispositif hyper ouvert qui se construit avec les bénéficiaires et permet de répondre aux besoins de l’instant ». C’est dans cette veine qu’un second rendez-vous s’est ajouté, celui du mercredi.
Mercredi, c’est répit. Les parents viennent échanger, déposer, craquer, rigoler en sachant qu’à côté, des professionnel·les veillent sur leurs bambins. Demain, c’est sûr, Amandine, maman d’un petit Viktor de 7 mois, sera au rendez-vous. « Ici, on est une famille. On peut parler de notre parentalité sans être jugée ».
Retour vers notre sujet, le jardin. « On ne peut pas parler du jardin sans parler des projets, explique Caroline, partenaire enfants-parents (Peps) de la consultation ONE. Le jardin, c’est un de nos outils de travail. Un outil qui offre du bien-être et préserve la santé mentale de celles et ceux qui le fréquentent. C’est le jardin qui rend tous nos projets de soutien à la parentalité encore plus beaux ».

De la réticence à la liberté

Toutes les mamans ne partaient pourtant pas du bon pied avec le dehors. Certaines y voient des contraintes, d’autres, des menaces. Pour obtenir l’adhésion, le groupe nomme les réticences. « Quand on sort, on n’a plus tout son confort ». « Avec les siestes, ce n’est jamais le bon moment ». « Je ne me sens pas en sécurité ». « Chez moi, je ne vais jamais au jardin », confirme Amandine.
Pourtant, à peine la porte de la consultation poussée, la voilà déjà dehors avec Viktor. « Quand il fait beau comme ça, c’est plus gai. Ça procure un sentiment de liberté. À l’intérieur, on est les uns sur les autres, les enfants se disputent, c’est oppressant. Dehors, c’est facile. Je pose Viktor sur la couverture, je n’ai pas peur qu’il se blesse dans l’herbe ».
Cet avantage n’est pas le seul facteur qui a modifié le rapport de la maman au jardin. Ce lieu est aujourd’hui une source de fierté pour elle. Amandine pointe les bacs à potager. « C’est nous qui avons construit tout ça. C’est une grande satisfaction d’avoir concrétisé ce projet tous ensemble ». En même temps que les manches se sont retroussées, les réticences sont tombées.
Hassiba vit en appartement avec son mari et ses quatre enfants. Elle est venue avec sa petite dernière, Nisrine, 9 mois. Pour prendre l’air, Hassiba est tributaire des espaces publics. Ce jardin communautaire est une aubaine. « Ici, c’est grand. Il y a de l’espace pour qu’elle bouge. Ma fille est très calme dehors, elle observe beaucoup ». Le sourire de la maman en dit long sur sa satisfaction. Comme l’attitude paisible de sa fille.

« Il faut les pousser mais une fois qu’ils sont dehors, ils sont bien »

Si la petite dernière n'a d’autre choix que de marcher dans les pas de sa mère, il en va autrement pour les grands de 12 et 14 ans. « C’est difficile de les décrocher de leurs écrans, ils me répondent qu’ils sont occupés, qu’il n’y a rien à faire dehors. Mais je ne leur laisse pas le choix. On se promène en vélo sur le RAVeL ou dans le quartier. À chaque sortie, je lis la satisfaction sur leur visage. Il faut les pousser, mais une fois qu’ils sont dehors, ils sont bien ».
C’est la première fois que Delphine, maman solo d’un petit Eden de 8 mois, se rend à « La petite bulle d’air ». Fervente adepte du dehors, Delphine compte bien perpétuer ce rapport à la nature qu’elle a reçu en héritage. « C’est ma grand-mère qui m’a donné le goût du dehors. On sortait au terrain militaire de Saives pour cueillir des pommes, observer les grenouilles, promener les chiens, faire coucou à l’âne. Quand on rentrait, on préparait une compote ou une confiture ». 
Quand Delphine travaille au potager, elle installe Eden sur sa balancelle, à l’ombre du magnolia. « Je le vois s’émerveiller du bruit des oiseaux, de l’odeur d’une fleur, du toucher de l’herbe. Je le sens aussi plus calme et serein ».
Au jardin, les enfants se sont emparés des livres apportés par Marie-Aurélie, bibliothécaire nomade depuis que la bibliothèque d’Angleur a pris l’eau en juillet 2021. Dans la même logique que l’initiative Lire dans les parcs, l’idée est de montrer que les livres peuvent sortir des murs. Une nécessité que la bibliothécaire a réussi à transformer en opportunité. La matinée touche à sa fin. Il est temps de plier bagage. La parenthèse verte est terminée pour cette fois. Mais le rendez-vous est déjà pris pour la semaine prochaine.

VÉCU

Retours d’expériences du dehors

  • « Constater les bienfaits du dehors nous a amenés à l’investir davantage »,
    Anne Ternest, directrice des trois crèches du CPAS de Chaumont-Gistoux

    Début 2019, le chantier jardin démarre. Avec pour objectifs que chaque membre de l’équipe s’approprie le projet, que les enfants s’y sentent en sécurité et que la pédagogie basée sur l’autonomie de l’enfant puisse y être transposée.
    Pour accompagner le processus, l’équipe fait appel aux services d’une formatrice en permaculture.
    « On a d’abord organisé une journée durant laquelle chaque membre s’est remémoré ses souvenirs d’enfance liés à l’extérieur. En les classant, on s’est rendu compte qu’ils correspondaient aux différentes zones que nous voulions aménager au jardin avec un coin moteur, un coin symbolique, un coin cocon.
    Dans un second temps, nous sommes sorties pour mieux appréhender notre terrain. Observer les pentes, les trajets que l’on emprunte, les zones exposées au soleil et au vent. Chaque professionnelle a ensuite reçu un plan vierge du jardin pour rêver son aménagement idéal. Le jardin, c’est un processus. Rien n’est figé, il évolue sans cesse. On pensait planter des fleurs dans nos bacs, mais l’expérience nous a montré que les enfants appréciaient beaucoup manipuler la terre.
    Constater les bienfaits du dehors nous amène à l’investir tout le temps davantage. Les plus grand·es prennent maintenant leur dîner au jardin. Les siestes ont aussi pris l’air sous les terrasses. Cet été, nous avons aussi installé un sas qui permet l’accueil et les retours dehors.
    Si certains parents ont pu se montrer réservés au début du projet, ils sont tous ravis aujourd’hui. Il y avait pour certains la crainte que leur enfant prenne froid ou soit plus malade, qu’il se fasse mal. Ce sont le temps et l’expérience qui leur ont prouvé qu’il n’en était rien. »
     
  • « Quand le jardin devient leur jardin »,
    Caroline Dallons, Peps ONE et Florence Martin Léon, assistante sociale à la maison médicale d’Angleur

    Juillet 2021, le quartier de Kinkempois subit de plein fouet les inondations. Dans la cour de l’ONE, des douches mobiles et des repas sont organisés par la Croix-Rouge. Une fois tout le dispositif terminé, Caroline Dallons se dit qu’il faut maintenir une dynamique dans ce lieu chargé symboliquement.
    « On a répondu à un appel à projets de la Croix-Rouge pour financer l’aménagement de la cour en jardin », raconte Caroline. Pour en faire un projet communautaire, elle prend contact avec ses voisin·es de la maison intergénérationnelle, de la maison médicale, de la Ligue des familles, du relais famille mono et de la bibliothèque d’Angleur. Tou·tes répondent positivement et embarquent dans le projet.
    « Une étude de la Croix-Rouge avait révélé qu’une fois les besoins en nourriture et logement satisfaits, c’était le besoin de lien social qui manquait le plus aux sinistré·es, explique Florence, assistante sociale à la maison médicale. Au niveau de la santé mentale, quand son chez soi déborde, avoir quelque chose de joli à investir, c’est important. »
    D’implication, il est beaucoup question dans ce projet. L’intention des partenaires du projet est claire : que chacun·e, à sa manière, se réapproprie ce petit bout de terre. Quand une aînée d’à-côté est venue suspendre dans le cerisier un petit nid qu’elle avait tressé, Caroline a compris que c’était gagné.

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