Vie pratique

Quand l’info nous met K.O.

Se couper de l’info pour tenter de s’en protéger. C’est la réaction d’un nombre important de parents que l’actualité inquiète ou qui ne savent tout simplement plus où donner de la tête. Comment faire face à cette « fatigue informationnelle » et retrouver sa manière de s’informer ?

Ce matin, vous avez coupé la radio à l’arrivée des enfants. Trop dur. Trop imprévisible. Ce n’est pas grave : ce soir, quand ils seront couchés, vous regarderez le JT. Enfin, on verra. Après tout, vous aussi vous avez une sensibilité, que vous cherchez à ménager. Et puis, vous aussi, à la fin de la journée, vous êtes fatigué·e. Fatigué·e d’enchainer les activités autant que de voir défiler sur vos écrans le fil sans fin des messages, des titres et des images. À un rythme effréné. Pendant que les Ligueur s’empilent, aux côtés d’autres journaux et magazines que vous lirez peut-être… si vous avez le temps.
Ce tableau vous paraît sombre ? Vous ne vous y reconnaissez pas ? Tant mieux. Si, par contre, il vous parle, au moins en partie, ne vous en faites pas : vous n’êtes pas seul·e. Ce qu’on appelle désormais « fatigue informationnelle » ou « infobésité » touche à peu près 4 Belges sur 10, selon des estimations récentes de l’Observatoire de recherche sur les médias et le journalisme (ORM). Qui précise que 40% des couples avec enfant(s) à la maison et 50% des parents solos déclarent ne consulter fréquemment aucun des médias traditionnels (télévision, radio, journaux en ligne ou journaux papier).

Une réaction de protection

« Face à une surabondance d’informations anxiogènes, qui deviennent difficiles à supporter, une réaction de protection est de se mettre à l’abri », explique Olivier Luminet, professeur de psychologie de la santé à l’UCLouvain. Cette tendance à se couper des canaux d’information pour s’en protéger (en anglais, on parle de news avoidance ou « évitement de l’info ») a pu être observée de manière particulièrement forte lors de la période covid, continue-t-il.
« Depuis, d’autres événements se sont succédés : guerre en Ukraine, manifestations spectaculaires des problématiques climatiques, hausse spectaculaire des prix de l’énergie… Des événements qui, à chaque fois, génèrent de l’anxiété parce qu’ils sont liés à des situations incertaines, qui pourraient potentiellement changer notre avenir. »

Un équilibre « informationnel » à trouver entre préserver sa propre santé mentale et être capable d’accompagner au mieux ses enfants

On imagine aisément que ce réflexe de protection puisse concerner de nombreux parents, en particulier s’ils se sentent déjà sous pression émotionnellement ou dans leur emploi du temps. Dans le cadre de ses recherches sur les liens entre la crise environnementale et le bien-être parental, Zoé Saliez, doctorante en psychologie à l’UCLouvain, nous livre un exemple concret.
Une première étude, à laquelle ont participé plus de 500 parents, a déjà permis d’établir que les « éco-émotions » (anxiété, colère, culpabilité, tristesse ou impuissance face à la crise écologique) étaient associées à plus d’épuisement parental. Or, pour elle, ces résultats sont à mettre en lien avec la façon dont les parents sont exposés à l’actualité : « Les médias sont un vecteur d’informations important au sujet de la crise environnementale. La manière dont ils présentent les choses a donc un impact sur les parents ».

S’informer moins, mais mieux

Le problème, c’est que sur le long terme, « faire l’autruche » n’est pas une solution. S’il est essentiel, en tant que parent, de prendre soin de sa propre santé mentale, il est également important de ne pas se couper totalement de l’information, pour pouvoir accompagner au mieux ses oisillons…
« Un moyen de faire face, c’est de se discipliner par rapport aux moments où on consulte l’information, en particulier lorsqu’on sait qu’on risque d’être très touché·e émotionnellement », avance Olivier Luminet. Qui prend l’exemple de l’actualité au Proche-Orient, émaillée de situations de violence extrême touchant notamment des enfants.
Un de ses principaux conseils aux parents est d’être prudents face à la tendance aux alertes et fils info et de revenir à un rythme plus lent : « Avant, les gens avaient deux ou trois rendez-vous par jour avec l’information. Il y avait la radio le matin, le quotidien papier pendant la journée et le journal télévisé le soir. Aujourd’hui, elle arrive à tout moment. Vous ouvrez votre téléphone pour regarder si vous avez un retour d’un·e ami·e ou de vos enfants et vous tombez sur ‘Breaking news : nouvelles violences au Proche-Orient’. On est confrontés à des alertes rédigées de façon spectaculaire, qui encouragent à cliquer pour aller voir ce qu’il y a derrière ».
Ce qui aide également à ne pas se laisser « engloutir » par les émotions, ajoute le spécialiste, c’est de privilégier les médias dans lesquels l’information est remise en contexte, analysée et débattue, et de se préserver des bribes et images brutes qui, « sans accompagnement, sont extrêmement difficiles à tolérer et génèrent de nombreuses ruminations ou pensées intrusives ». Une invitation à reprendre le contrôle sur sa manière de s’informer et à choisir ses sources avec soin. Quitte à se tourner volontairement vers des informations constructives, « porteuses d’espoir et d’optimisme ». Parce que « si un peu d’anxiété conduit à l’action, trop d’anxiété conduit à la sidération et à la passivité ». Loin d’être une démarche égoïste, chercher à préserver sa santé mentale face à l’actualité est donc une manière de rester apte à jouer un rôle actif dans le monde qui nous entoure, comme dans l’éducation de nos enfants.

EN RÉSUMÉ

5 conseils pour s’informer sans perdre pied

L’actualité a tendance à vous miner, par périodes ou sur certains sujets ? Voici quelques pistes pour vous aider à ne pas vous en détourner complétement.

  • Fixez-vous un, deux ou trois moments d’information par jour. Pas plus.
  • Désabonnez-vous des alertes info et tenez-vous à distance de l’info en continu (directs, fils info…).
  • Choisissez activement vos sources d’info en privilégiant : celles qui permettent une prise de recul (mise en contexte, analyse, débat…) ; celles qui mettent en avant des sources d’espoir et pistes de solutions.
  • Ne restez pas seul-e avec vos ruminations : parler de l’actualité aide à s’en distancier.
  • Adaptez votre manière de vous informer à votre sensibilité, en optant par exemple pour les journaux et magazines (pour leur recul), pour la radio (pour l’absence d’images), ou pour des journalistes que vous appréciez (pour le côté humain).

3 QUESTIONS À…

Leslie Rijmenams, journaliste à Nostalgie, co-fondatrice de l’asbl New6s, qui promeut l’information constructive, et maman d’une fille de 8 ans

C’est quoi l’info constructive ?
« C’est une démarche journalistique qui consiste à aborder une information à 360°, c’est-à-dire avec plusieurs angles, en apportant de la nuance. En prenant en compte le fait que le vocabulaire, les images et le ton employés ont un réel impact. C’est aussi une vision empreinte d’optimisme. Ce n’est pas forcément ‘la bonne nouvelle’. C’est plutôt ne voir ni le verre à moitié vide, ni le verre à moitié plein, mais dire qu’il est les deux. S’intéresser aux solutions mises en place, tout en restant critique. Il y a également une volonté de s’inscrire dans la durée. Trop souvent, une info en chasse une autre. C’est pourtant intéressant d’analyser les choses sur le long terme. Quand votre enfant revient avec un 5/10, est-ce que c’est cette cote-là qui compte ou son évolution sur toute l’année ? Il y a quelque chose d’assez parallèle entre l’éducation et la façon dont on relate l’information en tant que journaliste. »

En quoi l’info constructive peut-elle aider les parents ?
« Quand un parent est stressé et broie du noir, il diffuse à ses enfants une vision sinistre et morose. Se tourner vers l’information constructive est donc salutaire. Cela permet de faire baisser la tension, de dédramatiser certaines choses en les remettant en contexte. En s’intéressant aux causes et pas seulement aux coupables. C’est pareil à la cour de récré. Quand ma fille me soulève un souci qu’elle vit à l’école, j’essaye de lui apprendre à ne pas pointer du doigt quelqu’un·e, mais à essayer de comprendre pourquoi cette personne est comme ça… Je pense que c’est en remettant les choses en contexte qu’on fera de nos enfants des citoyens plus éveillés et ouverts. Mais cela implique d’abord de s’interroger sur notre propre perception du monde. Moi-même, ce qui permet de sauver ma santé mentale en tant que journaliste, c’est le fait d’avoir toujours cet angle constructif, de dézoomer, de sortir du ‘tout va mal’. Y a d’l’idée (l’émission radio dans laquelle elle va à la rencontre d’initiatives citoyennes positives, NDLR) me met du baume au cœur. C’est une de mes raisons d’être. »

Où trouver de l’info constructive ?
« Le journalisme constructif est une vision, une démarche. Dans un même média, certain·es journalistes vont donc y être plus sensibles que d’autres. Si il y a un conseil à donner aux parents, c’est de se tourner vers des médias qui, selon eux, ont cette capacité de contextualiser les choses et de ne pas rajouter de l’anxiété à l’anxiété. C’est aussi une manière d’encourager les médias à produire une information plus inspirante et nuancée. Il y un désamour du public vis-à-vis des médias, mais il faut se dire que les choses bougent : la démarche constructive infuse et de plus en plus de journalistes s’y intéressent. »

PSST… : vous trouverez ici quelques pistes intéressantes sur New6s, qui répertorie notamment les lauréat-es s du prix du journalisme constructif

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