Vie pratique

Regret paternel : un tabou invisibilisé

Alors que le regret maternel fait parfois les titres de presse, le regret paternel est toujours abordé sous le prisme du regret parental. Pourtant, ses raisons peuvent différer en fonction du genre et du rôle du parent.

« J’ai 40 ans et un enfant que je n’ai jamais voulu. (…) J’espère juste que lui et sa mère oublient de me rendre visite ». Ce témoignage anonyme est celui d’un père sur la page Facebook I regret having children (Je regrette d’avoir des enfants) qui compte 70 000 abonnés. Pour Stéphanie Culot, docteure en sciences psychologiques et de l’éducation à l’UMons qui réalise une enquête pour analyser le vécu des pères en post-partum (voir encadré), le regret paternel peut se définir comme le regret maternel : « C’est regretter sa vie d’avant au vu des tâches et obligations qui incombent au rôle de parent et n’épanouissent pas, ainsi que d’éventuelles difficultés à créer un lien avec son enfant ».
Ce sentiment peut être associé à de la fatigue, une tristesse et une culpabilité. « Il est difficile d’admettre qu’on regrette d’avoir un enfant. C’est rejeter une partie de soi », analyse Cynthia Suarez Nuñez, psychologue clinicienne spécialisée dans la parentalité et le burn out parental. Professeure de psychologie du développement à l’UCLouvain, Isabelle Roskam travaille aussi sur la problématique : « Dans l’épuisement parental, il y a des conséquences graves en termes de négligence de l’enfant, voire de violences. Pour le regret, les parents vont assumer leur rôle ». « Il y a souvent une volonté de bien faire, preuve de l’attachement à l’enfant », complète Stéphanie Culot. En dépit du regret, il est aimé.

Des facteurs personnels

Des facteurs individuels peuvent contribuer à un regret paternel, comme « une enfance difficile ou une santé mentale fragile », indique Kim Bastaits, sociologue formée à la KULeuven et chercheuse à PXL University College (Hasselt). Mais aussi « l’éducation reçue, l’ampleur du retentissement sur la vie et de la prise de conscience de la réalité de la parentalité, la conciliation entre sa vie d’avant et celle de parent », complète Stéphanie Culot.
« Chez les plus jeunes ayant entre 18 et 24 ans, 33% émettent un regret », contre « 8% pour les plus de 55 ans », indique une étude YouGov. « Les jeunes parents cherchent encore leur identité parentale », analyse Kim Bastaits. Le bas âge de l’enfant semble aussi jouer. Selon les psychologues américains William Keith Campbell et Jean Marie Twenge, au début de la parentalité, les parents sont en moyenne plus malheureux que les personnes sans enfant.
Le coût de la parentalité n’est pas en reste. Selon différentes études réalisées sur le sujet, il oscille entre 170 000€ et 220 000€ de la naissance à l'âge adulte.  Benoît*, 35 ans, raconte : « Je devrais garder mon fils la moitié des vacances, mais il habite loin et parfois je n’ai pas l’argent pour payer le billet. N’ayant pas la garde, je suis considéré célibataire et n’ai droit à aucune aide ».

Des facteurs sociétaux

« La pauvreté augmente, la relation à l'autorité s'est fortement modifiée, les modèles parentaux se diversifient et il y a le covid, l’inflation, les guerres, les catastrophes climatiques », contextualise Sylvie Anzalone, porte-parole de l'Office de la naissance et de l'enfance (ONE). De quoi compliquer la parentalité et pousser à regretter. « L’enfant n’est jamais tout à fait celui qu’on espérait avoir et qui a motivé notre engagement dans la parentalité », rappelle Daniel Coum, psychologue clinicien, psychanalyste, auteur du livre Paternités (EHESP) et ex-directeur de l’association française d’aide à la parentalité Parentel. Un deuil à faire, dont la difficulté peut être amplifiée lorsque le chemin pour procréer, par sa longueur et ses épreuves, a renforcé l’idéalisation de l’enfant à venir et de la parentalité. Une représentation alimentée par « les discours épurés comme quoi ce ne serait que du bonheur », souvent véhiculée par les réseaux sociaux, rappelle Stéphanie Culot.

« En tant qu’homme, il est moins menaçant d’exprimer un regret parental que pour une femme dont l’identité de parent doit être plus centrale »
Isabelle Roskam

Professeure de psychologie du développement UCLouvain

Depuis la légalisation de la pilule en 1967 et celle, partielle, de l’interruption volontaire de grossesse en 1990, la parentalité est souvent un choix. Mais pour les hommes, qui ne portent pas l’enfant, pas toujours. « Avec la contraception et la possibilité de dire qu’on ne veut pas d’enfant, car on peut désormais exister en dehors de l’identité de parent, le regret parental est celui d’une décision », analyse Isabelle Roskam. Une décision parfois influencée par la pression sociale. « Il reste attendu qu’après un certain âge, un couple ait un enfant », précise Kim Bastaits.

Des différences de genre

Entre le regret maternel et paternel, des facteurs diffèrent, notamment en raison des inégalités de genre. S’il est difficile de savoir si le regret parental est plus courant pour les mères ou les pères, Stéphanie Culot glisse : « Au vu de la répartition générale des tâches et de la charge mentale, du congé maternité plus long que le congé paternité, le père est souvent celui qui, des deux parents, conserve le plus sa vie d’avant ».
Mais aussi celui qui peut avoir le plus de mal à trouver sa place. « Dans les années 50, les pères travaillaient pour subvenir aux besoins de la famille. Lorsque les femmes ont commencé à travailler, ils ont dû prendre leur rôle parental. C’est devenu un devoir, attendu et encouragé, qu’ils souhaitent », analyse Kim Bastaits. Mais « si on ne leur laisse pas de place, ils peuvent se demander à quoi ils servent », souligne Cynthia Suarez Nuñez.

Une omerta

Depuis deux ans, la parole des mères se libère dans les médias et sur les réseaux sociaux. Les témoignages de pères, eux, sont rares, anonymes et cantonnés à internet. Stéphanie Culot l’explique par le fait que « les hommes sont moins enclins à parler de leurs émotions et sentiments » et qu’« ils ne se sentent pas toujours légitimes d’évoquer leurs doutes, car la parentalité les bouleverse moins que leur compagne, notamment physiquement ».
Kim Bastaits complète : « Nous vivons dans une société où l’accent est mis sur le bien-être mental, surtout depuis le covid. Néanmoins, ce sont surtout les femmes qui osent s’exprimer publiquement », notamment depuis #MeToo. Isabelle Roskam rappelle qu’« en tant qu’homme, il est moins menaçant d’exprimer un regret parental que pour une femme dont l’identité de parent doit être plus centrale ».

Quid de la prévention et des solutions ?

Afin d’apaiser les sentiments d’isolement, de honte et de culpabilité liés à ce regret, libérer la parole est essentiel. Stéphanie Culot met en avant l’intérêt des groupes de parole. « D’autant plus que quelque chose se joue autour de la pression sociale. Il y a beaucoup de gestes à apprendre, d’émotions, de questions qui arrivent », observe la porte-parole de l’ONE qui, depuis un an environ, ne parle plus d’ « accompagnement des mères et futures mères », mais « des parents et futurs parents ». De quoi participer au sentiment d’inclusion des pères.
Pour ce faire, Cynthia Suarez Nuñez prône leur suivi par des sages-femmes et psychologues, car « s’ils voient le corps de leur compagne changer, ils ne sentent l’enfant que lorsqu’il est dans leurs bras ». Pour Kim Bastaits, cette aide doit avoir « une approche différente pour les pères, car ils n’expriment pas forcément les choses de la même manière que les mères ». Une individualité nécessaire. « Il est important de saisir les besoins, sans véhiculer de normes sur ce qu’est un bon père. Il y a plusieurs manières », insiste Sylvie Anzalone.
Si la raison du regret est un manque de temps pour soi, déléguer peut aider. « Avoir du temps pour soi, une aide, des conseils est fondamental », martèle Stéphanie Culot. À condition que ces recommandations ne deviennent pas des injonctions. « Les parents sont perdus dans un flot d’informations et de jugements qui renforcent la pression à atteindre une perfection impossible », déplore Cynthia Suarez Nuñez.
Selon Isabelle Roskam, si la parentalité partagée peut aider à endiguer un burn out parental, le regret, lui, est permanent : « C’est un sentiment qu’on vit, qui touche à quelque chose de très sensible : celui d’avoir fait un mauvais choix ». Stéphanie Culot tempère : « Il est toutefois possible d’apaiser son regret parental, d’accepter davantage de vivre avec ». Une nécessité avec les nouvelles générations « conscientes du sacrifice de leurs parents » et qui « veulent vivre leur vie sans se sentir restreintes, coincées par un petit être », Isabelle Roskam s’attend à une hausse « de regrets parentaux anticipés ». De quoi s’attaquer au regret parental et à la natalité.

* Prénom modifié

POUR ALLER + LOIN

Papas, une enquête pour vous

Vous pouvez participer à l’étude scientifique visant à mieux comprendre le vécu des pères en post-partum et lors de la naissance de leur enfant de l’UMons.

Participer à l'enquête

À LIRE

Ni dépression post-partum, ni burn-out maternel, ni désamour. Dans son livre Le regret maternel et via son compte Instagram qui rassemble presque 25 000 followers, l’autrice Astrid Hurault de Ligny témoigne d’un ressenti tabou et s’appuie sur la psychologie pour mieux vivre ce regret au quotidien. Et aussi déculpabiliser d’autres mamans.

Mal de mères

Vie pratique

Mal de mères

À LIRE AUSSI

Trois accueils, trois histoires

Vie pratique

Trois accueils, trois histoires

« Pourquoi mon papa n’est pas là ? »

Développement de l'enfant

« Pourquoi mon papa n’est pas là ? »

Sandrine Martin : aventurière du quotidien

Loisirs et culture

Sandrine Martin : aventurière du quotidien

Les infos collectées sont anonymes. Autoriser les cookies nous permet de vous offrir la meilleure expérience sur notre site. Merci.
Cookies