Vie pratique

Du sein d’une maman, biologique ou donneuse, jusqu'à la bouche d’un bébé prématuré, le lactarium assure la collecte d'un produit riche en amour et en nutriments. Mais comment ça fonctionne, un lactarium ? Rencontre avec des parents et les professionnel·les qui font tourner la banque de lait.
D'un pas pressé, Mathilde, 32 ans, transporte à l'épaule un petit pactole. Sous la tirette de son frigo-box, une dizaine de blocs plastifiés de couleur blanche, légèrement jaunâtre. Le butin est réfrigéré, anonyme. La livraison, attendue. Direction : le lactarium de la Clinique CHC MontLégia, à Liège, à quelques kilomètres de son domicile.
Dans un petit sas, les pochettes de lait congelé de la jeune maman sont soigneusement recueillies. Ses quelque 700 ml de lait sont immédiatement placés par l’infirmière pédiatrique dans un tiroir du congélateur du lactarium, que l'on nomme ici « la banque de lait ». Est stocké et trié ici le lait maternel des bébés hospitalisés en néonatalogie, celui de leur propre maman ou celui provenant de donneuses.
Comme Mathilde, celles-ci ont été au nombre de dix-sept à faire don au MontLégia. En 2022, 58 bébés ont bénéficié de ce lait de don, pour un total de 76 litres collectés. Bien plus qu'un lieu de collecte et de réserve, le lactarium est un réservoir d'amour et d'émotions, qui se gère rigoureusement sept jours sur sept, dès l'aube, telle une cuisine-laboratoire de boissons lactées, dont chaque goutte compte.
Quand le lait coule de source
Au même étage, entre deux soins en couveuse, Fabienne Hesbois, infirmière pédiatrique et conseillère en lactation, s'installe auprès d'une jeune maman, seule dans sa chambre, pour lui souffler ses conseils. « Surélevez vos pieds et installez-vous confortablement, dit-elle de sa voix douce et calme. Même si bébé est né à 5 mois, votre glande mammaire est prête ». La lumière du service est tamisée. Il fait calme. Deux appareils accompagnent la maman : un tire-lait et un smartphone, pour visionner la dernière vidéo de son bébé. Et le lait jaillit, avant de couler dans le biberon collecteur.
Ces séances s'ensuivront huit à douze fois sur la journée et la nuit, en ce début de post-partum. Et de petits rituels s'instaurent, « comme respirer le body de son bébé. Il faut y penser, car le nouveau-né n'est pas toujours proche pour manifester ses appels de lait, par ses bruits et ses massages du sein ».

« À 4 mois, Zoé a refusé le biberon. Inutile donc de congeler mon lait tiré pour notre consommation personnelle. J'aurais dû jeter ce lait. C'est en voyant ma surproduction que ma sage-femme m'a proposé faire don. J'ai donné douze litres, puis j'ai reçu un gentil courrier de l’hôpital, adressé à ma fille Zoé, la remerciant, elle, d'avoir aidé d'autres bébés. Ça m'a émue. »
La voie de secours lactée
« Les mamans font toujours de leur mieux. Certaines parviennent difficilement à extraire 5 à 10 ml par recueil, d'autres arrivent à 100 ml... Idéalement, 500 à 750 ml par 24 heures sont recommandés, mais nous ne donnons pas d'objectif aux parents pour ne pas induire de stress ». Cependant, lorsque les gouttes peinent à perler ou si le souhait d'allaiter n'est pas au rendez-vous, une décision doit être prise pour administrer l'aliment le plus adéquat. La banque de lait vole alors au secours du bébé.
« Le lait maternel, pour le bébé né prématurément, contient des composés d'origine humaine que sont les immunoglobulines, anticorps, les hormones, les facteurs de croissance, des enzymes, des prébiotiques et probiotiques, les cellules du système immunitaire, des acides gras polyinsaturés..., précise Anne Vervoort, pédiatre responsable de la banque de lait du CHC. La composition en nutriments est la mieux adaptée à la croissance d'un nouveau-né. »
Outre les bébés prématurés, d'autres petit·es patient·es doivent pouvoir bénéficier de ce lait. « Les bébés nés à terme avec un petit poids ou avec une pathologie digestive ou une malformation ou une maladie intestinale », complète la pédiatre.
Donner « le lait d'une autre maman », pour certaines mères, la proposition est mal digérée. Alors, ce lait maternel prend d'autres appellations. « Nous le présentons comme du ‘lait de banque’ ou du ‘lait humain’ tout simplement, voire même comme un médicament indispensable. Puis ce n'est que temporaire », raconte Fabienne Hesbois. Par ailleurs, les conditions strictes validant les dons rassurent les parents.
Quant aux premiers bénéficiaires du lait du lactarium, ils reçoivent leur repas principalement par sonde naso ou oro-gastrique, à la tasse ou au biberon pour les plus âgés. Parfois en peau-à-peau avec leur parent.
Au menu : frais ou pasteurisé ?
On frappe à la porte. Plusieurs fois par jour, l'infirmière en charge de la biberonnerie passe en chambre pour collecter le lait. De retour au lactarium, elle planifie les pasteurisations. « Le lait frais d’une maman ppour son propre enfant est privilégié, explique Rita Schaus, infirmière pédiatrique. La pasteurisation entraîne la destruction des cellules, de certaines enzymes, d'hormones... diminuant un peu la qualité du lait maternel, même si elle restera supérieure à celle d'un lait de substitution. » La pasteurisation est prévue pour les prématurés à haut risque, pesant moins d’un kilogramme, nés avant vingt-huit semaines ou avec certaines pathologies. Les bébés du groupe à bas risque, quant à eux, profitent directement du lait non-pasteurisé ». Entre ces deux extrêmes, des prélèvements sont analysés pour donner le feu vert au lait frais pour les bébés du groupe intermédiaire.
Le lait de don, lui, est systématiquement pasteurisé. « Il est livré congelé par la donneuse et directement stocké. Nous le décongelons. Un prélèvement de chaque poche est mis en culture pour détecter des germes. Si le résultat est négatif, ce lait est pasteurisé et de nouveau congelé. Il est presque prêt à l'emploi ! Les dons sont très rarement jetés », ajoute Rita Schaus.
Bonne nouvelle, les stocks de la banque sont pleins. « Pour l'instant, nous ne devons pas faire d'appels sur les réseaux sociaux ». Actuellement, trois bébés du service reçoivent ce lait de don.
Collaboration lactée ?
Et sans lactarium, que font les services de néonatalogie ? Ils collaborent avec les banques les plus proches. Le CHR Sambre-et-Meuse à Namur, par exemple, n'en dispose pas. « S’il y a un risque d'accouchement prématuré, nous aborderons la question de l'allaitement avec la maman, lui expliquant que son lait maternel extrait sera très utile », explique Élisabeth Henrion, chef de service de néonatologie.
Dans ce service de l'hôpital labellisé Amis des Bébés, 90% des mamans allaitent. Si le bébé n'est pas prêt à boire directement au sein, le surplus de lait est mis en réserve pour quelques jours. Et si le don est nécessaire, une livraison est effectuée par le lactarium du CHR de la Citadelle à Liège.
Dans le sens inverse, le CHR de Namur est un point relais pour les mamans donneuses du Namurois, région sans lactarium, souhaitant faire don de lait. « Une ou deux mamans par mois font don ici, constate l'infirmière en chef du service. Actuellement, pour un service de taille moyenne comme le nôtre, la gestion d'un lactarium serait trop coûteuse, soit 80 € à 200 € par litre de lait traité. Nous restons dans l'attente de l'organisation d'un lactarium régional ou fédéral, sur lequel un comité de l'allaitement planche ».
Élisabeth Henrion met aussi en garde contre des dérives commerciales. « Une firme américaine nous a récemment présenté un lait maternel complémenté au coût prohibitif de 10 000 € par bébé... De plus, ce lait provient de mamans ayant été rémunérées. C'est inenvisageable en Belgique, la démarche commerciale s'éloigne de l'éthique autour du don ». À noter que l'administration de lait maternel est remboursé en grande partie par l’assurance soins de santé (l'INAMI estimant le coût du lait maternel à 0,32 €/10 ml, avec un montant forfaitaire à charge des parents de 0,30 € par jour pour une quantité de 200 ml).

« Lorsque nous avons quitté le service de néonatalogie avec mon petit garçon, j'ai décidé de faire don de plusieurs litres qui m'attendaient au lactarium. Avec un grand sentiment de fierté. À ma grande surprise, ma lactation était généreuse et en inadéquation avec mon bébé prématuré qui ne réclamait qu'une dizaine de ml par jour en début de vie. J'ai pu côtoyer des mamans en chambre commune pour qui la lactation était pénible... Je connais la valeur du lait. »
EN SAVOIR +
Don anonyme ou parfois dirigé
Les parents ne peuvent pas connaître l'identité de la donneuse, le don étant anonyme, comme pour le don de sang. Cependant, des souplesses sont accordées, le statut du lait maternel étant « entre deux », à la fois liquide biologique (comme le sang) et produit alimentaire. Exceptionnellement, des dons « dirigés » se font à la demande des parents. « Comme la sœur d'une jeune maman dont la lactation ne démarre pas et qui a proposé de donner son lait pour son neveu. La solution a été acceptée par l’hôpital. Cela peut arriver parfois entre dames de confession musulmane, pour qui deux bébés ayant reçu le même lait deviennent ‘frère ou sœur de lait’ », se souvient l'infirmière pédiatrique Fabienne Hesbois. Ce don « dirigé » est pasteurisé au lactarium, puis donné à l'enfant concerné.
EN PRATIQUE
Qui peut donner son lait ?
Toute maman peut donner son lait en répondant à certains critères : avoir du lait extrait avant les 6 mois de l'enfant, ne pas fumer, ne pas boire d'alcool. Elle doit répondre à un examen et un questionnaire médical, faire une prise de sang. Son lait doit être conservé au frigo (5°C) maximum 48h et au congélateur maximum deux mois. Elle amène elle-même son lait au lactarium ou en hôpital relais. Les quatre lactariums en Belgique sont à Bruxelles (Érasme et Huderf) et à Liège (CHR de la Citadelle et CHC MontLégia).
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