Vie pratique

« Comment survivre avec un ado qui n’est pas le sien ? »

Trouver sa place en tant que beau-père ou belle-mère d’un·e adolescent·e peut être compliqué. Petit tour d’horizon de quelques défis et opportunités que réserve cette aventure, à travers les témoignages de trois beaux-parents qui l’ont tentée et l’éclairage de Catherine Audibert, psychologue et autrice d’Amour et crises dans la famille recomposée.

« Comment survivre avec un ado qui n’est pas le sien ? ». C’est la question que s’est posée Virginie* pendant les passages les plus chahutés de l’adolescence de son beau-fils, qui a aujourd’hui 18 ans. Lorsque son compagnon a emménagé chez elle, le petit garçon avait 8 ans. Il vivait avec eux une semaine sur deux, et elle a pu nouer avec lui un lien plutôt serein. Puis, quelques années plus tard, les choses ont commencé à se corser : tensions avec son père, manque de respect de la vie commune, insolence, puis difficultés scolaires et mensonges…
« La vie au quotidien est devenue très compliquée. Les cris, les engueulades, les portes qui claquent… même si je n’étais pas visée, c’était très dur. Et je ne me sentais pas non plus respectée par rapport aux repas que je préparais, aux lessives que je faisais… », remarque Virginie.

« T’es pas ma mère ! »

Lorsque Claire* a emménagé chez son second mari avec ses trois jeunes enfants, ses deux enfants à lui avaient déjà 15 et 17 ans : « J’ai appris plus tard qu’ils ne voulaient pas qu’on emménage ‘chez eux’. Ce que je peux comprendre, ils n’avaient rien demandé. Mais ça donne un peu l’ambiance. Je ressentais une forme de tension latente ».
Son beau-fils distillait des petites remarques comme : « C’est moi qui décide du nom du chat parce qu’on est dans ‘ma’ maison » ou encore : « T’es pas ma mère ! », alors qu’elle lui demandait de débarrasser sa place à table. « J’ai très vite senti qu’on allait avoir du mal à trouver une manière de fonctionner ensemble, parce qu’ils avaient leur manière de vivre et moi, la mienne ».
Jean-Marc, lui, s’excuse presque de n’avoir aucun problème à signaler : « On en reparle dans quelques années… Pour l’instant, c’est juste chouette ». Depuis un an et demi, il vit en famille recomposée avec sa compagne, son fils de 12 ans et la fille cadette de sa compagne, qui a 14 ans.
« On a beaucoup de chance. Je m’entends vraiment bien avec la petite, qui ne m’a jamais reproché d’être là, et ma compagne s’entend bien avec mon fils. On arrive tout juste au moment où ils commencent à changer l’un et l’autre. Ma belle-fille commence à faire la tête à sa mère, sans trop savoir pourquoi ». Mais il constate qu’en tant que beau-père, il dispose d’un certain recul qui lui permet parfois de « défaire des nœuds » entre elles.

Une rencontre toujours singulière

Ces témoignages le montrent bien : chaque famille recomposée a son histoire, ses spécificités. « Le lien beau-parental […] se construit sur une relation unique entre un adulte (le beau-parent) et un enfant, écrit Catherine Audibert dans Amour et crises dans la famille recomposée (Payot Rivages). [Ce lien] dépend de nombreux facteurs tels que la fréquence de cohabitation entre le beau-parent et l’enfant, l’âge de l’enfant au moment de la rencontre, le sexe, l’acceptation de la nouvelle union par l’autre parent et celle du beau-parent par le conjoint, et il tient aussi à la personnalité de chacun, à son être tout simplement ».

« Le lien beau-parental se construit sur une relation unique entre un adulte et un enfant »
Catherine Audibert

Psychologue

La « belle-parentalité » est donc avant tout une rencontre, toujours singulière. C’est d’autant plus vrai lorsque, comme dans le cas de Claire, les enfants sont déjà grands au moment de la recomposition familiale, nous précise de vive voix la psychologue : « On n’a pas été là pendant leur enfance. On les rencontre seulement à l’adolescence, alors qu’ils ont déjà leur personnalité, que leurs fondations psychiques sont déjà posées, que leur éducation a déjà été faite, en grande partie, par d’autres personnes. Comme avec n’importe qui dans l’existence, soit ça accroche, soit ça n’accroche pas. À ceci près qu’ils ne nous choisissent pas ».

« Soyez un couple parental »

Les beaux-parents d’adolescent·es ont cependant en commun une série de défis et d’opportunités, comme la question des limites et de l’autorité. « C’est dur de savoir ce qu’on peut dire aux enfants de l’autre, témoigne Claire, dont la relation de couple a souffert de ces tensions. Mon mari ne mettait pas de limites à ses enfants, et nous avions du mal à nous mettre d’accord sur ce sujet ».
Quant à Virginie, bien que soutenue par son compagnon, elle s’est souvent sentie tiraillée, doutant de sa légitimité : « J’ai moi-même été éduquée avec un cadre assez clair et j’avais l’impression que mon beau-fils manquait de limites. Je gardais beaucoup de choses pour moi. Je me disais : n’ayant pas eu d’enfant moi-même, qui suis-je pour me permettre d’en savoir plus que quelqu’un d’autre ? C’est difficile d’être spectatrice de choses sur lesquelles tu n’as pas de prise et que tu vis et subis au quotidien ».
« J’ai connu une époque où on conseillait aux beaux-parents d’être une plante verte dans un coin et de ne se mêler de rien, commente Catherine Audibert. Mais ce n’est pas évident quand on cohabite avec un enfant, et encore moins avec un adolescent. Évidemment qu’on a à se mêler de quelque chose en tant que beau-parent. Les adultes sont garants de la structure familiale sur laquelle les enfants vont pouvoir s’appuyer, ils en donnent les contours et les limites. S’il y a un conseil à donner aux couples recomposants, c’est : soyez un couple, un couple parental. Être adulte dans une famille recomposée nécessite de prendre des responsabilités, de se sentir concerné par les enfants, de pouvoir se parler et d’avoir une cohérence entre vous deux pour qu’ils grandissent le mieux possible ».
Mais pour des raisons parfois liées à la séparation passée (sentiment de culpabilité vis-à-vis des enfants, envie de profiter sans conflit du peu de temps passé avec eux…), certains parents se montrent peu cadrants avec leurs enfants ou peu soutenants de leur nouveau conjoint. Catherine Audibert observe que ce sont souvent les femmes qui font face à ces difficultés : « Sans doute parce que les beaux-pères, bien que souvent très investis auprès de leurs beaux-enfants, n’ont pas pris une place similaire à celle de la belle-mère ». Même si les mentalités évoluent, l’image négative de la « marâtre » continue de coller à la peau de ces dernières, qui sont également plus exposées aux critiques (et aux frustrations) du fait qu’elles sont régulièrement en charge des tâches domestiques à la maison.

Du temps, du tact… et du respect

Et l'ado dans tout ça ? Comment trouver sa juste place à ses côtés sans trop s’imposer, en particulier lorsque la recomposition est récente et qu’on vient d’entrer dans sa vie ? « Cela nécessite de prendre le temps et de faire l’effort de se mettre à sa place. Il faut avoir beaucoup de tact et ne pas se sentir blessé personnellement : se comporter en adulte et pas soi-même en adolescent, susceptible », répond Catherine Audibert. Qui précise qu’« il n’y a pas de formule qui pourrait s’adapter à toutes les familles recomposées. On vit les choses avec la personnalité qu’on a, avec l’histoire qu’on a ».
L’experte ajoute que le minimum qu’on puisse demander à tous les membres d’une famille recomposée, c’est le respect. « On n’est pas obligés de s’aimer, mais on se respecte. On se dit ‘Bonjour’, ‘S’il te plait’, ‘Merci’, on se parle correctement, c’est déjà une bonne base ».
Quand chacun trouve sa place et se respecte, la présence du beau-parent peut se révéler très positive pour l’ado. En tant qu’adulte « tiers », il peut, par exemple, aider l’ado et son parent à sortir d’une relation trop étroite ou tendue et à aller vers l’indépendance.
« On ne parle pas exactement aux enfants de l’autre comme on parle aux siens. On prend un peu plus de pincettes, la relation est différente, témoigne Jean-Marc. Si c’est moi qui dis quelque chose à ma belle-fille, elle l’écoute différemment et ça permet de déjouer certaines tensions avec sa mère. Pareil pour mon fils : il va réagir de façon moins affective et affectée si c’est ma compagne qui lui fait une remarque. C’est une chouette dynamique. »

*Prénoms d’emprunt.

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