Société

Il y a un an, Sophie, Romain et leur petit Oscar de 6 mois étaient évacués de leur maison à Vaux-sous-Chèvremont (Liège). Tout avait été emporté dans leur rez-de-chaussée, nous racontait la maman dans les pages du Ligueur. La rédaction avait aussi rencontré Céline, Julien et Noé, lui aussi encore tout-petit. Leur maison à Prés-Javais (Verviers) a été totalement inondée par la Vesdre. Nous les avons recontactés pour faire le point un an plus tard.
Enfin ! Depuis deux mois, Sophie, Romain et leur petit Oscar sont de retour chez eux. Ou plutôt, dans leur « nouveau » chez eux. S’il s’agit de la même adresse, le décor du rez-de-chaussée a bien changé.
« D’un côté, on est beaucoup plus serein d’être de retour : on a retrouvé notre jardin, notre espace extérieur, on est à notre aise. On retrouve le voisinage, aussi, et on est sur place pour les corps de métier qui doivent venir pour les travaux, raconte la maman. D’un autre côté, je suis de retour chez moi, mais ce n’est pas ma maison. Tout a été modifié, on n’a plus nos meubles et la décoration de base. Notre rez-de-chaussée ne permet pas de se poser pour le moment, c’est vide et froid. Les espaces de rangement ne sont pas encore adaptés. »
« Je suis de retour chez moi mais ce n’est pas ma maison »
Les murs sont bien blancs, ils viennent d’être replafonnés, la cage d’escalier en bois est pimpante et la cuisine équipée n’attend que sa hotte. On se croirait dans le rez-de-chaussée d’une maison à vendre : tout est neuf, rien n’est encore personnalisé. Une page blanche pour un nouveau départ. Sur la terrasse de Sophie, il y a bien quelques stigmates des inondations d’il y a un an : des pavés empilés, de nouveaux châssis à fignoler et le crépi du mur qui n’est pas encore refait.
« On a acheté cette maison il y a trois ans avec Romain… Bonjour ! ». De temps en temps, Sophie s’interrompt pour saluer ses voisins qui passent sur le chemin piéton qui sépare la terrasse du jardin. L’herbe a repoussé. C’est difficile à imaginer, mais « l’eau est montée jusqu’à 1m95 partout ici. Elle arrivait au-dessus des châssis, on ne voyait plus que la barre horizontale des poteaux qui tiennent les fils pour faire sécher le linge. Ce n’était plus qu’un énorme lac ».
Résilience
C’est grâce à leur famille que Sophie, Romain et Oscar ont pu avoir un toit au-dessus de leur tête. « On a été logés trois jours chez mes parents, le temps de se retourner, de se rendre compte de ce qu’il s’était passé, de l’ampleur des dégâts. Puis, étant en vacances, ma sœur nous a proposé sa maison trois semaines. Et enfin, on a encore eu beaucoup de chance dans notre malchance, les parents d’un ami nous ont mis leur appartement libre à disposition à Liège le temps nécessaire à reconstruire ».
Si les assurances ont payé six mois de loyer, le couple a aussi pu compter sur les proches financièrement. « La famille nous a dépannés en attendant que les assurances interviennent. Fin août, on avait rencontré l’expert et rendu notre dossier. On avait un budget sur un compte qu’on pouvait débloquer en montrant les factures ».
« On s’est beaucoup écoutés, ce qui n’était pas notre point fort »
Un soutien familial plus que nécessaire pendant cette année bien difficile où Sophie a dû arrêter son travail d’institutrice pendant quelque temps, histoire de tenir le coup et à cause d’une blessure à la jambe. Les mois ont été difficiles, mais l’épreuve a renforcé le noyau familial.
« Étonnamment, ça nous a rapprochés plus qu’autre chose. Évidemment, il y avait des moments de stress et de fatigue où ça explosait un peu. Mais, globalement, on a bien avancé ensemble. On était dans le même bateau. Ça ne servait à rien de se prendre le chou pour pas grand-chose. On s’est beaucoup écoutés, ce qui n’était pas notre point fort. Ça nous a grandis. Maintenant qu’on est plus à l’aise, on profite d’autant plus des moments avec notre fils qu’on n’a pas vu beaucoup pendant les sept ou huit derniers mois pour pouvoir avancer dans la maison. C’était difficile à un âge où il change tous les jours ! Maintenant, on apprécie de passer du temps ensemble. »
À l’image de sa maison, la famille se (re)construit donc petit à petit, même si elle reste encore en alerte en cas d’orage, prête à glisser des « panneaux anti-crues » à l’entrée des portes au cas où l’eau monterait à nouveau. À l’image du reste de la localité aussi.
À Vaux-sous-Chèvremont, la Vesdre a retrouvé un niveau normal. Il y a certes encore des tranchées creusées dans les rues, des ouvriers qui travaillent sur des raccordements, mais le gros des travaux semble bien avancé. Une équipe installe les néons sur la façade de la pharmacie. Le pont est tout à fait praticable et arbore des géraniums roses pour un accueil chaleureux. Les terrasses des restaurants sont réinstallées. Les gens font la file à midi à la boulangerie pour s’acheter un sandwich. La vie a visiblement repris son cours.
Sur les hauteurs
Si Sophie et sa famille ont fait le choix de rester dans leur maison, ce n’est pas le cas de Céline et Julien. Parents d’un petit Noé, la famille vivait elle aussi tout près de la Vesdre. Très près même, puisque la maison donnait sur le cours d’eau dans le quartier de Prés-Javais à Verviers. Elle est aujourd’hui vendue.
« On est allés le plus haut qu’on pouvait », nous dit d’emblée Céline. À six minutes en voiture de son ancienne maison. Pas très loin, mais il faut en effet monter quelques rues bien pentues pour accéder à cette nouvelle adresse. Bienvenue à Stembert.
« On est allés le plus haut qu’on pouvait »
« On emménage dans une semaine. Ça va faire du bien », se réjouit Céline. La maman nous fait visiter leur nouvelle maison avec Noé dans les bras. Aujourd’hui âgé de 15 mois, il pousse un petit cri à l’écoute de son prénom. Sa voix résonne. Là encore, les pièces sont blanches, en cours de travaux, pas encore personnalisées. La seule trace de leur ancienne vie se trouve à l’étage, dans une des chambres.
Céline ouvre la porte. Devant nous, c’est la caverne d’Ali Baba. Des tas d’objets y sont stockés. « Tout ce qu’on a pu sauver de notre ancienne maison tient dans une pièce. Ça peut paraître beaucoup rassemblé comme ça, mais, en fait, c’est pas grand-chose quand on doit réaménager toute une maison ».
« On a de la chance »
En attendant, où logent-ils ? Là encore, c’est la famille qui est venue à la rescousse. « On est tous chez mes beaux-parents qui vivent à quelques maisons d’ici. C’est pratique. On a de la chance de les avoir eus et que ça se passe si bien. Quand on voit certains qui sont toujours dans des caravanes un an après… Nous, on a nos habitudes ici, on n’a rien dû louer. Même si c’est pas facile tous les jours, on a de la chance d’être là ».
Le village est joli avec ses maisons en pierre du pays. Les beaux-parents ne sont pas loin. Pas de regrets d’avoir quitté Prés-Javais ? « Pas tellement, c’est mieux ici. En même temps, c’est pas toujours aussi chaleureux qu’à Prés-Javais. Là-bas, on connaissait tout le monde. Tout le monde se disait bonjour, discutait ». Mais plus question pour Céline d’y retourner, même pour aller voir ce qu’est devenue leur ancienne maison. « C’est trop difficile ».
Contraste
Nous redescendons donc sans elle dans son ancien quartier de Verviers. Le contraste est saisissant. En ce mercredi après-midi de juin, la chaleur paraît encore plus forte qu’ailleurs. Le paysage semble teinté d’un filtre orange. C’est le sable, la poussière sur les trottoirs. Les restants de boue aussi.
Ici, contrairement au vécu de Sophie et Céline, les inondations ne sont pas « derrière » les habitants. Beaucoup de rez-de-chaussée sont encore condamnés. Certaines vitres encore brisées. Les commerces fermés. Des tas d’encombrants sur lesquels la boue a séché jonchent encore quelques trottoirs ci et là. Des panneaux « à vendre » ponctuent les façades. Pas de géraniums rouges accrochés sur le pont, mais des barrières communales enrobées de grillages orange fluo. Elles n’empêchent personne de passer malgré le piteux état de l’ouvrage. Pas même les pelleteuses qui creusent les bords du cours d’eau.
Sur l’un de ces ponts, deux riverains les regardent avec amertume. « Bienvenue dans le gouffre à merde de Verviers », nous dit l’un d’entre eux. Le ton est donné. Et son camarade, plus causant, de nous expliquer comment Prés-Javais a été oublié. Sa maison à lui ? Elle est juste là. Avec de belles jardinières, décidément symbole de la fin des rénovations. « Je suis maçon, ça aide. Car j’ai fait tout tout seul. Ce ne sont pas les autorités qui vont nous aider. Ils donnent des aides à ceux qui ne sont pas assurés et nous, on va devoir payer pour les rénovations du quartier. La convivialité ? Ah, ah, ah ! Non, ce n’est plus comme avant ».
Ce sentiment d’injustice dans un quartier décrit comme précarisé est exacerbé depuis les inondations. L’élan de solidarité a été dépassé et le quartier n’est plus celui que Céline a connu auparavant. Une analyse confirmée par Julie Lemaire. Elle est animatrice régionale pour les Équipes Populaires de Verviers et soutient les familles dans leurs démarches.
« Les parents me le disent : ‘Il y a eu énormément de solidarité pendant les inondations, mais, maintenant, je suis toute seule pour tout gérer’. Ça dépend évidemment des familles, mais, pour certaines d’entre elles, c’est catastrophique. Elles sont encore dépendantes de la Croix-Rouge pour les repas. Ce sont des familles qui ne veulent pas quitter leur maison à cause de la pénurie de logements, qui entraîne donc une hausse des prix. Comme toutes leurs affaires ont déjà été perdues, elles préfèrent rester dans un logement insalubre parce que c’est tout ce qui leur reste. C’est par exemple très compliqué quand il y a beaucoup d’enfants de trouver un logement transitoire le temps de faire les travaux. »
Parmi ces familles nombreuses, Nadine, Romain et leurs neuf enfants âgés de 3 à 25 ans. Avec une telle ribambelle, impossible de trouver un autre logement. Ils sont restés chez eux, à Prés-Javais. « C’est une grande maison de maître, décrit Nadine. On l’a achetée il y a six ans et on venait de finir de rénover le rez-de-chaussée quand on a été inondés ».
« Mon principal besoin, c’est d’avancer dans les assurances pour voir le bout du tunnel »
Si la nouvelle cuisine est installée, le reste est loin d’être avancé. Le plancher en chêne gondole, le plafonnage a sauté et la brique est à nu jusqu’à 1m50 au-dessus du sol, la moisissure pique le mur de la cuisine, l’électricité n’est pas réinstallée partout. Impossible d’accéder au salon à cause d’un trou au-dessus de la citerne à mazout. Et pas question d’avancer dans les travaux. D’abord, parce que les comptes sont à sec. Mais aussi parce que les histoires d’assurances ne sont toujours pas réglées.
« On est de retour à la case départ. La même situation qu’il y a un an. Nous n’avons reçu aucune indemnité, car nous avons un problème d’assurances. Dans toutes les factures que nous payons tous les mois, nous ne nous étions pas rendu compte que nous avions deux assurances pour la maison. Je vous passe les détails, mais, en résumé, le dossier que nous avions fait, l’expert venu l’an dernier, tout ce que nous avions clôturé pour la fin 2021 n’a servi à rien. Un nouvel expert doit repasser dans quelques jours pour recommencer tous les constats. »
Tenir malgré tout
Toute cette paperasse et le fait de vivre dans un lieu toujours sinistré saturent complètement le cerveau de Nadine. « On n’est pas bien chez soi, mais on ne veut plus en sortir non plus. Mon principal besoin, c’est d’avancer dans les assurances pour voir le bout du tunnel. On m’a proposé de l’aide psychologique, mais j’ai peur de m’écrouler en vidant mon sac ».
« Certaines familles ne sont pas visibles parce qu’elles n’activent pas leurs droits »
Encore trop de familles sont dans cette situation, selon Julie Lemaire. Cette dernière pointe le sentiment d’être abandonné dont parlait l’un des riverains rencontrés sur le pont. « Ces familles ne sont pas visibles parce qu’elles n’activent pas leurs droits. Parfois, certaines d’entre elles n’osent pas car elles ne sont pas en ordre de papiers. Le fait d’être propriétaire ou non change aussi beaucoup la donne. Il y a certes les questions d’assurances mais il y a aussi les travaux que font les propriétaires. Certains n’ont pas fait les travaux pour tout déshumidifier ».
Pour Julie Lemaire, les inondations exacerbent des problèmes déjà existants. « Les politiques à Verviers ne se concertent pas avec la population de Prés-Javais. Ils ne connaissent pas leurs besoins. Il y a un sentiment d’injustice énorme, car personne ne voit comment l’argent est alloué pour les aider. Pour vous donner un exemple, pendant tout l’hiver, il n’y a pas eu d’éclairage public. Les enfants revenaient donc de l’école dans le noir. Autre exemple : la plaine Lentz où se trouve encore la Croix-Rouge. On veut y installer les conteneurs de classes de l’école le temps de faire les travaux, mais c’est le seul endroit un peu vert qu’il reste aux enfants pour jouer et se rencontrer ».
Quand nous y sommes passés, la plaine Lentz est effectivement le lieu où il y avait de la vie. Des enfants jetaient des cailloux dans la Vesdre, tapaient la balle sur le terrain de basket. Les animateurs et animatrices de la Croix-Rouge jouaient du djembé, comme pour rappeler le cœur battant du quartier.
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