Santé et bien-être

« Les jeunes qui souffrent de troubles alimentaires sont dans le déni »

Que faire quand son enfant est victime de troubles alimentaires ? Des témoignages et des expertises pour mieux comprendre

Comment se déclare un trouble alimentaire ? Et qu’est-ce qui peut aider à en sortir ? D’un bout à l’autre de ce parcours, des femmes passées par là et des professionnel·le·s témoignent.

« Je me souviens d’un repas où mettre un bout de saucisse cuite à la vapeur dans ma bouche m’a fait pleurer. Ce soir-là, ma famille a pris conscience du problème. Avec le recul, je pense que c’était un appel à l’aide. J’ai toujours tout géré, que ce soit à la maison ou à l’école. Tout le monde me voyait comme un roc, je pense que l’anorexie a été une manière de dire qu’en fait, non. »
Éviter les aliments gras et sucrés, se peser plus que de raison, s’adonner au sport à outrance, voilà comment l’anorexie a commencé chez France, l’année de ses 18 ans. Petit à petit, l’adolescente perd le contrôle de son alimentation et le contenu de son assiette devient une obsession. En quelques mois, la férue de sport s’affine et s’affame jusqu’à peser 46 kg (pour 1m62).
Chez Rosie, l’anorexie a commencé par une phrase lâchée par sa maman dans la salle de bains lui conseillant de faire attention à son poids. Rosie a alors 12 ans. « À partir de cette remarque, je me suis regardée avec les yeux de ma mère ». Commence alors une période de trois ans où la jeune fille mange le minimum aux repas et compense toute prise alimentaire par une série d’abdos-fessiers.
Autre rituel : les mercredis après-midi, Rosie, seule à la maison, s’enduit de produits anticellulite et emballe ses jambes dans du papier cellophane. Les joues de Rosie se creusent et la silhouette change. La balance affiche un poids toujours plus bas jusqu’à descendre à 34 kg.
Nora Tsibidas, coordinatrice de Miata (association de soutien aux parents et proches de personnes souffrant de troubles alimentaires) évoque encore d’autres indicateurs qui sonnent l’alerte. « Un·e adolescent·e qui maigrit, passe son temps à s’observer, a une tendance au perfectionnisme, porte un intérêt démesuré à son poids, fractionne ses repas, superpose les couches de vêtements, se plaint d’avoir froid, s’isole et fait preuve d’irritabilité sont autant d’indicateurs de troubles alimentaires ».

À partir de quand parle-t-on de trouble ?

« Plus que la perte ou la prise de poids, c’est quand l’alimentation, l’image et le rapport au corps prennent une place qui n’est plus saine dans la tête de la personne que l’on parle de trouble. S’ensuivent des pensées obsédantes autour de l’alimentation et une estime de soi qui dépend de sa capacité à contrôler son alimentation et son poids », explique Nora Tsibidas.£
Le trouble s’immisce dans une faille à un moment où le jeune a le sentiment de perdre le contrôle sur sa vie ou souffre d’une mauvaise estime de lui. Progressivement, le trouble s’installe et inverse le rapport de force. L’ado prend et puis perd son contrôle sur l’alimentation et devient prisonnier de sa conduite.
Le trouble démarre souvent de façon anodine par un régime ou par l’éviction de produits associés à la malbouffe. L’ado déclare qu’il ne veut plus manger de viande, se dit intolérant au gluten ou aux produits laitiers et commence à pratiquer l’orthorexie, c’est-à-dire le fait de restreindre son alimentation aux aliments les plus sains.

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Nora Tsibidas prévient : « Les jeunes qui souffrent de troubles sont dans le déni. Ils mentent pour protéger leurs troubles qu’ils considèrent comme étant la solution à leur problème ». Ce sont souvent les ami·e·s qui sont les premiers, les premières à s’inquiéter, car l’ado sait y faire pour embobiner son parent prétextant qu’il a déjà mangé ou qu’il mangera ailleurs pour éviter un repas.

Un trouble alimenté par différentes sources

Au-delà d’un mal-être l’année de ses 18 ans, France interprète aussi son anorexie comme un moyen de lutter a posteriori contre une puberté précoce qui l’a fait se sentir en décalage par rapport aux autres filles de son âge alors qu’elle avait 10 ans. « Mon corps m’a propulsé dans un autre monde. Mes premières menstruations sont apparues alors que je n’étais qu’en 4e primaire. Ma maman a dû réclamer des poubelles pour moi dans les toilettes de l’école. J’ai vite intégré que je devais cacher ce qui faisait femme avant l’heure. Maigrir, ça aide aussi à cacher des formes. J’ai le sentiment d’avoir dû grandir trop vite ».
Selon Nora Tsibidas, un trouble est toujours multifactoriel, au carrefour d’éléments médicaux, environnementaux, psychologiques, ce qui rend le travail d’analyse assez compliqué. Certains facteurs constituent toutefois un terrain propice aux troubles alimentaires. Comme le fait d’accorder une grande importance au corps et à l’alimentation au sein d’une famille.
« On sait qu’il y a une tendance chez les filles à écouter leur père et à regarder leur mère », explique Nora Tisbidas. Ainsi, un père qui valorise excessivement la minceur ou une mère qui accorde beaucoup d’importance à son assiette favorisent l’apparition de troubles au sein de la famille. Un parent ayant souffert de troubles peut aussi constituer un facteur favorisant.
Mais Nora Tsibidas relativise la responsabilité familiale. « Les troubles surgissent aussi bien dans des familles fonctionnelles que dysfonctionnelles. C’est important de mettre fin aux raccourcis qui voudraient que les parents soient coupables des troubles alimentaires de leurs enfants. Notre association considère que le parent joue un rôle central dans le soutien et la guérison de son enfant. C’est en cela que nous tentons de lui apporter soutien et conseils ».

Ce qui les a aidées à s’en sortir

Ce qui a aidé France, c’est la présence de ses parents. « Sur les conseils d’un homéopathe, nous avons décidé que je rentrerais manger tous les midis à la maison. Leur manière à eux de m’aider, ça a été de manger à mes côtés le midi. Ils pouvaient ainsi contrôler ce que je mangeais sans pour autant que ça devienne une obsession ».
Rosie se souvient d’une prise de conscience lors d’un camp guide, l’été de sa 3e secondaire. « C’était la mode des mini-shorts, une des guides m’a fait la remarque que même si j’étais très mince, j’avais quand même de la cellulite. Et là je me suis dit : ‘Je me crève physiquement depuis deux ans et ça ne change quand même pas. Alors, merde !’ ».
France et Rosie sont aujourd’hui femmes et mamans. Bien qu’à l’aube de la quarantaine, toutes deux évoquent encore aujourd’hui un rapport compliqué au corps et à l’alimentation. « Quand je me trouve dans des périodes difficiles, je dois travailler sur moi pour me dire que les kilos en trop que je vois dans le miroir ne sont pas réels. Ce qui m’a aidée, c’est la sophrologie, la pleine conscience et puis, surtout, de m’entourer de gens bienveillants », explique France.
« Avec le recul, je me dis que la nourriture c’est très social et que ça veut souvent dire quelque chose d’autre quand on a un problème avec son alimentation. Je pense qu’en tant que parent, il faut aller chercher les réponses et les pistes ailleurs que dans l’assiette », poursuit France.

Le parent : pas le responsable, mais l’aidant

L’asbl Miata recommande aux proches de concentrer leurs efforts sur les solutions plutôt que sur les causes du trouble. Son expérience au sein de l’asbl démontre qu’on ne sort pas d’un trouble alimentaire tout·e seul·e. « Ces jeunes ont surtout besoin d’un cadre ferme et bienveillant et d’un soutien infaillible de leurs proches. Les parents doivent reprendre la main. Il vaut mieux ne pas tergiverser et aborder le sujet de façon claire : ‘Je vois que tu as maigri, je suis inquiet pour toi, je veux qu’on aille voir quelqu’un’. Surtout ne pas s’en remettre au jeune, puisqu’il est dans le déni et l’évitement ».

EN CHIFFRES

La répartition des troubles alimentaires

  • 10-15% anorexie, 30% boulimie et 55 à 60% de troubles non spécifiés.
  • Ils concernent principalement les 12-22 ans.
  • L’anorexie mentale touche 9 filles pour 1 garçon et la boulimie 7 filles pour 1 garçon.
  • Anorexie mentale : 70% guérison, 20% de chronicité, 10 % de mortalité.

Source : Docteur Yves Simon - Programme Anorexie-Boulimie du centre hospitalier le Domaine (Braine-l’Alleud)

EN PRATIQUE

Des outils pour en parler

  • La Wallonie et Bruxelles comptent 12 centres de soins habilités à accompagner des jeunes souffrant de troubles alimentaires. Retrouvez la liste sur anorexie-boulimie.be
  • My skinny sister, un film de Sanna Lenken.
  • Comment aider votre fille à sortir de l’anorexie, un livre d’Yves Simon et Isabelle Simon-Baïssas (Odile Jacob).