Développement de l'enfant

Les parents, de nouveaux Big Brothers ?

Une maman travaille tard le soir au bureau, mais gère à distance les angoisses nocturnes de son enfant et corrige les erreurs domestiques de son nigaud d’homme depuis son GSM. Ce scénario est celui d’une publicité pour un fournisseur d’accès internet. Une société hyper-contrôlée est-elle inéluctable ? Doit-on acheter une doudoune GPS, un bracelet traceur ou autres cordons ombilicaux high-tech pour donner toutes les chances dans la vie à notre enfant ? Jusqu’à devenir des parents hélicoptères qui scannent de manière incessante leur progéniture ? Petit récapitulatif sur la confiance, la liberté et l’autonomie par les temps qui courent…

« Parents hélicoptères » : le terme vient du Canada. Escalade high tech oblige, on parle davantage de « parents drones » aujourd’hui. La parabole est saisissante : l’ombre omniprésente de ces tuteurs hyper-flippés plane au dessus de leurs enfants web-fliqués.
Rassurez-vous, ce n’est qu’une tendance. Nous n’en sommes pas encore là, mais autant s’informer pour ne pas se laisser piéger par la parano ambiante. Une parano nourrie abondamment par un marché de la surveillance et par une société qui tolère de moins en moins l'autonomisation des plus petits. Un exemple ? D’un bête baby-phone qui s’allume aux pleurs de bébé, on arrive à un modèle de pointe avec écran qui le suit à la trace. Résultat : maman déboule derechef et ne lui laisse pas le temps de vivre l'expérience du manque.
Et pour les plus âgés ? Vêtement avec balise GPS intégrée, mouchards en tout genre qui permettent aux parents de géolocaliser les mignons à tout instant de la journée… Tout cela devrait faire rire, puisque dans notre bon royaume, rappelons-le, nous n’en sommes pas là. Seulement, lorsqu’on sait qu’une mère sur trois est favorable à l’idée qu’un enfant possède un GSM dès l’âge de 11 ans pour garder le lien au cas où son préado se trouverait en fâcheuse posture, on ravale ses sarcasmes.

Autonome… en laisse

Constat intrigant, les quadras d’aujourd’hui étaient complètement libres il y a vingt ans. En une génération, cette liberté de circulation, d’agir et de penser dans laquelle ils ont grandi est quasi réduite à zéro pour leurs enfants. Comment toute une tranche d’âge s’est-elle mutée en hyper parents ?
Jacques Marquet, sociologue à l’UCL de Louvain, relativise : « Heureusement, ce n’est pas le cas de tous les parents. Je parlerai plutôt ‘d’hyper-contrôlant’. Ce phénomène existe notamment parce qu’il y a le potentiel pour ». Mais qu'est-ce qui pousse certains parents à tracer leur enfant sur le trajet de l’école ou pendant les jeux au parc ?
Christophe Butstraen, auteur de l’ouvrage Internet, mes parents, mes profs et moi - Apprendre à surfer responsable publié chez De Boeck, répond par une image éloquente : « Plus la barrière sera solide et plus on laissera nos enfants s’en approcher seuls ». Pour l’auteur, le phénomène ne naît pas d’un besoin éducatif. « Père de trois enfants âgés d’une vingtaine d’années, il ne me serait jamais venu à l’idée de leur donner une balise GPS. C’est parce que le dispositif existe que certains y ont recours. »
Autre point important : on se sent obligé de donner à son enfant tout ce qu’il mérite. Rien n’est trop beau pour lui. Et il serait dommage de passer à côté d’un coup de pouce high tech qui ferait de nous, croit-on, un meilleur parent.

Pour parents anxieux

Découvrons ces drôles de joujoux et les besoins qu’ils créent en matière d’éducation. Commençons par ces fameux GPS portatifs comme Ma P'tite Balise ou T'es où ? Ces boîtiers de la taille d'une clé de voiture cartonnent surtout depuis cette rentrée.
Une célèbre marque de vêtements (dont nous ne ferons pas la réclame) vient même de commercialiser des manteaux avec traceur GPS intégré. Côté smartphone, on trouve des applications comme Jelocalise ou iChaper sur le GSM du petit. Pourquoi « Chaper » ? Mais pour « chaperon », bien sûr ! Astucieux…
Ces bébêtes géolocalisent une cible et envoient, par exemple, une alerte lorsque l'écolier passe les portes du bahut. Ils peuvent aussi délimiter un périmètre autorisé et, bien évidemment, déclencher un signal si l'enfant en sort.
Effarant ? Vous ne croyez pas si bien dire ! Et ces nouveaux espions numériques pullulent. La mode nous vient des États-Unis, ou l’on bipe, flique, trace et quoi encore ? Ah oui, ils permettent aussi de prendre la température…
Vous lisez bien. Toujours chez nos cousins américains, un bracelet électronique, appelé Sproutling, se fixe sur la cheville de bébé. Disponible depuis cet été chez nous, ce dispositif NSA de chambre de nourrisson mesure son rythme cardiaque, ses mouvements et sa température.
Ailleurs, on lance un GSM « spécial enfants » doté de toutes les fonctions de traçage. On le trouve aux États-Unis, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. Mais mieux encore, certaines applications invisibles permettent de violer incognito tout le contenu du GSM de votre préado adoré. La liste est bien sûr non-exhaustive.
Jacques Marquet analyse : « Je pense que cette sur-attention pourrait empêcher l'enfant de grandir. Les périodes d'absence du parent sont indispensables pour que les enfants puissent s'autonomiser en développant leur pensée. Cet hyper contrôle conduit à une limitation étouffante. »

La confiance règne

Beau paradoxe que cette joyeuse technologie qui inciterait les plus anxieux à donner davantage de liberté à leur rejeton. C’est là que ça devient complexe. Laurène se reconnaît bien dans la définition de « parents hélicoptères » évoquée plus haut. Elle ne voit rien d’autre que le côté positif de la chose.
« Si je n’avais pas tous ces outils à ma disposition, je laisserais moins de liberté à mon petit de 9 ans. Je ne le laisserais pas aller seul à l’école. Il n’irait pas jouer au parc avec ses copains. J’utilise un petit GPS que je glisse dans son sac. Non seulement ça me rassure, mais ça lui permet d’être indépendant. Avec tout ce que l’on entend, je me sens plus sereine. »
Qu’en disent-ils, ces jeunes balisés ? Pour Christophe Butstraen, ils n’ont pas envie de cela. « Quelle que soit la règle, ils arriveront toujours à la contourner. Plutôt que de mettre des systèmes de sécurité partout autour de la piscine, pourquoi ne pas lui apprendre à nager ? »
Le témoignage de Laurène évoque une certaine peur qui revient souvent dans les discours des parents : la mauvaise rencontre. La fonction S.O.S. présente sur toutes ces babioles est citée comme l’arme préventive absolue. La victime peut compter dessus en cas de danger immédiat. Suite à quoi Christophe Butstraen constate que « cette génération qui a tout inventé a peur de tout. »
Jacques Marquet abonde : « Le plus étrange, c’est que ce besoin de sécurité permanent est né dans une société qui n’a jamais été aussi sûre… du moins si l’on considère l’Europe. Mais les images de conflits qui nous viennent de partout font sans doute naître chez les père et mères un sentiment d’insécurité relativement grand. Les parents ne sont pas les seuls à se rassurer par les joujoux high tech. Certains patrons ont recours aux traceurs, aux caméras de sécurité, aux badges de surveillance, etc. La technologie du contrôle est mobilisée par tout un ensemble d’acteurs. »
Ces technologies destinées à rassurer ont pour conséquence d’engendrer de nouvelles angoisses. L'idée que nos adorables « digital native » aient accès au web caniveau effraie. Il faut donc tenter de maîtriser la Toile coûte que coûte.
« L’exemple des jeux violents est assez frappant, observe Christophe Butstraen. On les achète, mais on doit mettre des dispositifs pour que l’enfant n’y joue pas. Donc, cette armada high tech est perçue comme très dangereuse, mais permet en même temps de tout contrôler. Elle est le problème et la solution. On oscille d’un clic entre hyper-surveillance et exposition. »
Alors, comment trouver le bon équilibre entre flicage et laxisme ? Laissons place aux spécialistes. En attendant, chers enfants, attention, souriez… Vous êtes pistés !



Yves-Marie Vilain-Lepage

En pratique

La bonne conduite virtuelle

 Que retenir des propos de nos spécialistes ?

  • Ne pas faire virtuellement ce que vous ne feriez pas dans la vie. Et donc éviter de sombrer dans la dérive high tech pour contrôler sans cesse votre enfant.
  • Éduquer, c’est aider son enfant à conquérir son autonomie. Le parent doit transmettre l’idée qu’il est là comme filet de sécurité. Il faut donc trouver la bonne distance… ce qui est plus facile à dire qu’à faire !
  • Votre préado conteste l’hyper-flicage via toutes ces nouvelles applis et autres inventions numériques ? Dites-vous que cette révolte est saine… et laissez-lui prendre le large en gardant un œil sur lui, mais le vôtre, pas celui de Big Brother !

À lire

Internet, mes parents, mes profs et moi - Apprendre à surfer responsable, Christophe Butstraen, édition De Boeck.

Des parents en parlent...

Pour des raisons médicales

J’ai un baby-phone avec webcam, il suit les mouvements de mon fils qui a de gros problèmes d’asthme. Il a 6 ans et je la lui laisse jusqu’à ce qu’il soit plus autonome. C’est une sécurité très importante pour moi qui suis seule à m’en occuper. Non, je ne me reconnais pas trop dans la définition des parents hélicoptères…
Delphine, 40 ans, maman solo, un enfant de 6 ans

Un œil sur les enfants seuls

Nous sommes dans une situation particulière. Nous travaillons tard, ma femme et moi. C’est Sam, 12 ans, qui va chercher sa petite sœur à l’école. Et pour être certain qu’il soit à l’heure et que tout se passe sans accroc, nous jetons un œil de temps à autre à la géolocalisation de son GSM. Autant se servir de la technologie quand elle est utile.
Ronan, 36 ans, deux enfants

Pas besoin de traceur…

Tant qu’il respecte mon autorité, je fiche une paix royale à mon fils de 12 ans. Nous ne sommes pas amis sur Facebook, car j’estime que je suis père et pas copain. Quand je l’autorise à sortir, je sais où il est et je n’ai pas besoin de traceur ou autre ‘cochonnerie’. Je lui fais confiance. Je sais, c’est irresponsable !
Luc, 51 ans, un enfant de 12 ans

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