Vie pratique

Liberté, disponibilité, complicité

D’un côté, l’envie d’être disponible pour ses petits-enfants. De l’autre, le besoin de préserver sa liberté, car la vie ne tourne pas uniquement autour d’eux. Comment ces deux dimensions s’ajustent-elles au féminin ? Au féminin, car ce sont encore et toujours les femmes qui se chargent du « care ».

Cette question, on l’explore avec Vivianne Kovess-Masfety, psychiatre et épidémiologiste franco-canadienne, qui a sorti, en 2023, Être grand-mère aujourd’hui (Odile Jacob). Un foisonnant livre-enquête à partir d’entretiens qu’elle a menés, sur le mode intime, avec quarante-cinq femmes, plutôt urbaines, diplômées et aisées. Un échantillon biaisé donc, avertit-elle. Une plongée dans la France qui n’est pas la Belgique, ajoute-t-elle. Mais, de ce travail se dégagent « des tendances en quelque sorte universelles ».
Une précision encore : difficile, pour elle, d’extrapoler aux grands-pères. Son focus sur les grands-mères est un parti pris. « Je suis femme, je suis grand-mère et je m’intéresse aux femmes ». Sans compter que « ce sont elles qui portent, la plupart du temps, le poids de l’éducation des enfants, de la prise en charge des petits-enfants et de l’aide aux parents vieillissants ». Si les grands-pères apparaissent en filigrane dans son livre, c’est via les grands-mères solos : « Gérer des petits-enfants quand on est seule, c’est plus lourd que quand on a un partenaire à ses côtés ».

Distance géographique

Selon le Baromètre des parents 2024 de la Ligue des familles, quand un jeune enfant ne fréquente pas la crèche, dans un peu moins d’un tiers des cas (31 %), ce sont les grands-parents ou un autre proche qui s’en occupent (au moins une partie du temps). C’est dire combien les grands-parents s’impliquent dans le quotidien de leurs petits-enfants.
Oui, les grands-mères – (de plus en plus) jeunes et qui, souvent, travaillent, sont actives – jouent un rôle d’appui important dans la garde des petits-enfants, confirme Vivianne Kovess-Masfety. Même si, en France, la prise en charge complète des petits-enfants par les grands-parents est un phénomène rare (3 % à peine) ; et ce, pour des motifs inhérents au pays.
Plusieurs formules coexistent : l’aide organisée régulière (tous les mercredis, par exemple), les dépannages dus aux imprévus, les soutiens occasionnels (pour des vacances ou des week-ends).
La distance géographique est ici un critère – objectif – à prendre en compte. « Parce que, pour être un appui sérieux dans la garde de ses petits-enfants, il faut habiter à proximité. Or, aujourd’hui, en France en tout cas, dans beaucoup de familles, les membres vivent dispersés. Si les grands-parents ne peuvent pas donner des coups de main réguliers ou assurer les dépannages, ils acceptent volontiers de prendre leurs petits-enfants pour les vacances ».

Le parent aux commandes

Certaines grands-mères sont très investies dans la vie de leurs petits-enfants. D’autres, plus à distance. Il y a celles qui se réjouissent des liens qui se tissent, celles qui se sentent vite débordées… Alors, jusqu’où s’impliquer, jusqu’où (se) faire plaisir ?

« L’attitude du parent est déterminante dans la mise en place du rôle de la grand-mère. Autrement dit, ce sont vos enfants devenus parents qui rendent possible la relation avec vos petits-enfants »
Vivianne Kovess-Masfety

Psychiatre et épidémiologiste franco-canadienne

« Les grands-mères de mon échantillon ont pas mal jonglé entre l’éducation des enfants et un métier prenant. Quand elles arrêtent de travailler, elles désirent profiter de ce dont elles n’ont pas pu profiter jusque-là. Elles sont ravies de s’occuper de leurs petits-enfants, mais sont réticentes à l’idée de prendre des engagements contraignants qui restreindraient trop leur liberté », commente Vivianne Kovess-Masfety. Laquelle poursuit : « Dans les milieux sociaux moins favorisés, la question se pose autrement : les parents ont BESOIN de l’aide des grands-parents, ils ne peuvent pas se payer des baby-sitters ».
Reste qu’une constante se dessine : « L’attitude du parent est déterminante dans la mise en place du rôle de la grand-mère. Autrement dit, ce sont vos enfants devenus parents qui rendent possible la relation avec vos petits-enfants. S’ils ne la souhaitent pas, elle sera difficile à mettre en œuvre ».

Les bien nommés « chic-ouf »

On n’est pas à un paradoxe près. Voyez ces grands-parents qui se surnomment les « chic-ouf » ; comprenez : « Chic, les petits-enfants arrivent. Ouf, ils repartent ». Pour Vivianne Kovess-Masfety, ce ressenti dépend notamment de l’âge des petits-enfants, ainsi que de leur nombre. Entre garder un bébé et veiller sur une flopée de pré-ados, les situations sont variées. Et certaines sont juste crevantes !
Avec des ados, le scénario change – même si des exceptions sont fréquentes. « Le problème, c’est qu’ils ne veulent plus venir. Normal, ils ont d’autres centres d’intérêt que leurs grands-parents. Et quand ils sont là, ils ne lâchent pas leur téléphone portable ».
Question prise en charge, « il y a la quantité de ce que vous assumez : est-ce que vous faites peu ou beaucoup ? Et il y a le comment vous le faites : êtes-vous en phase avec la façon dont vos enfants éduquent leurs enfants ? Vous mêlez-vous de leurs choix éducatifs, osez-vous des réflexions ? Les grands-mères que j’ai interrogées ne se permettent pas de trop critiquer ». Un point primordial, selon Vivianne Kovess-Masfety, pour que les choses se passent au mieux : « Accepter que ses enfants soient les parents. Ce sont eux qui sont responsables de l’éducation, pas vous ».
Il y a mille façons d’être grand-mère. « Ce qui compte, c’est que, pour la grand-mère, la solution mise en place soit confortable ». Si l’autrice a un conseil à donner, c’est de « profiter de sa maturité » : « On se connaît assez bien pour savoir ce qu’on peut assumer et ce qu’on ne peut pas assumer. Parce que, finalement, ce qu’on souhaite, c’est le bien-être des petits-enfants. Et pour qu’ils soient bien, il faut qu’on soit bien quand on est avec eux ».

ELLES ONT LA PAROLE

  • Jeune retraitée, cinq petits-enfants (âgés de 5 ans et demi à 10 ans et demi), Catherine se souvient : dès la première naissance, elle a proposé à ses deux enfants de s’en occuper. « Je voulais pouvoir nouer un vrai lien avec eux, inscrit dans la régularité et la continuité ». Elle va un mercredi chez l’un, l’autre mercredi chez l’autre. Et puis, dépanne si besoin. « Comme leurs demandes ne me semblent pas excessives, j’ai à cœur d’y répondre positivement ». Être avec ses petits-enfants, c’est du pur plaisir : « une relation-cadeau, dégagée des contraintes éducatives ».
  • Zoï, 60 ans, a six petits-enfants (de 2 à 9 ans), et un septième est en route. Elle s’en occupe, mais pas assez à son goût. Elle a hâte de s’arrêter de travailler pour profiter d’eux. « C’est une joie de les avoir, pas un fardeau ». Mais il ne faut pas se leurrer : « Quand tu es avec eux, tu ne sens pas la fatigue. Mais elle est bien là ».

À LIRE

« Sur le papier, on est contente de devenir grand-mère, mais, quand ça arrive, on réalise que cela ne va pas de soi. Alors, j’ai voulu voir comment faisaient les autres », dit Vivianne Kovess-Masfety. Ainsi est né son livre Être grand-mère aujourd’hui (Odile Jacob). Les témoignages recueillis montrent la créativité à l’œuvre.

© Odile Jacob

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